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À l'arraché(e)
« L'adoption à l'arrachée de la loi sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe risque de s'accomplir sur un fond de confusion et d'excès. »
(Philippe de Roux, Paul Thibaud, Jérôme Vignon, sur marianne.net, le 19 avril 2013)
Ce que j'en pense
Participe passé substantivé d'arracher, arraché désigne, dans la langue du sport, un « mouvement par lequel un athlète soulève d'un seul élan un haltère pour l'amener, bras tendus, au-dessus de sa tête » : Cet haltérophile a effectué un arraché à deux bras. N'en déplaise à nos auteurs, il s'agit là d'un nom masculin − ellipse de un (mouvement) arraché ? (*) −, qui s'écrit sans e final et ne saurait changer de sexe, de genre, ni de graphie en entrant dans la locution adverbiale figurée à l'arraché, laquelle signifie « au prix d'un effort intense, d'une action violente (et souvent de justesse) » et, par extension, « en surmontant beaucoup de difficultés » : « Obtenir à l'arraché ce qu'on veut. Vaincre à l'arraché. Une victoire à l'arraché » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Vol à l'arraché » (Petit Robert), « Il a remporté la victoire à l'arraché » (Grand Larousse). Et peu importe que ladite locution soit, comme dans notre affaire, rattachée à un nom féminin (adoption) : elle n'en demeure pas moins invariable.Seulement voilà, le TLFi vient troubler cette belle unanimité en écrivant contre toute attente : « À l'arraché(e). » Peut-il s'agir d'une coquille, comme le donne à penser cet exemple annoncé quelques lignes plus bas « sous la forme féminine »... mais cité au masculin : « Sans relever la tête, à l'arraché, il revint sur les leaders qui s'enfuyaient à toute allure » (La Pédale, revue cycliste dirigée par un certain Marcel Gentis, 1927) ? C'est d'autant plus probable que toutes les occurrences relevées aux autres entrées sont invariablement orthographiées sans e muet :
« À l'arraché » (à l'article « à »), « Il soulève : 90 kg au développé, 110 kg à l'arraché, et 130 kg à l'épaulé jeté (L'Œuvre, 6 mars 1941) » (à l'article « développé »), « Un match furieux où j'ai battu Jacques d'une longueur, à l'arraché (Julien Gracq) » (à l'article « longueur »), « À l'arraché, Léonce le possède (Alexandre Arnoux) » (à l'article « sprinteur »), etc.
Et pourtant... Tout porte à croire que les choses n'étaient pas aussi nettement tranchées à l'origine. Jugez-en plutôt :
« Enlever à l'arrachée à deux mains une barre à sphères de 200 livres » (Le Sport universel illustré, 1898), « À l'arrachée d'un bras » (Le Figaro, 1902), « Le poids étant enlevé soit de volée, soit à l'arrachée, au jeté ou au dévissé » (Congrès international de sport et d'éducation physique, 1905), à côté de « Barre à deux mains de 180 livres à l'arraché » (L'Athlète, 1897), « C'est le premier homme qui fit à l'arraché 80 kilos en 4 poids de 20 kilos chacun » (La Vie au grand air, 1901), « Il enlève [...] 160 livres à l'arraché » (La Culture physique, 1904).
Qu'importe ! La langue est affaire trop sérieuse pour être abandonnée aux sportifs. Aussi les gardiens du bon usage se sont-ils employés d'arrache-pied à rétablir dans ses droits la forme en -é, seule admise de nos jours dans les ouvrages de référence − à l'exception hypothétique du TLFi, donc. Pas de quoi s'arracher les cheveux...
(*) Comparez avec : à l'accoutumée, « locution adverbiale et elliptique pour, à la manière accoutumée » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1845). Voir ce billet.
Remarque 1 : D'après le Dico du parler sport de Baptiste Blanchet et Jean-Damien Lesay, la locution à l'arraché proviendrait de « "Arrache !", ordre donné à ses rameurs par le patron d'un canot ». Cela reste à confirmer...Remarque 2 : On fera la distinction avec la variante familière à l'arrache (« de façon rapide et négligée, en improvisant »), que le Wiktionnaire présente comme une réfection, sous l'influence d'arracher, de l'ancien français harache (courre a la harache, a la harace, « poursuivre »), qui a donné harasser.
Ce qu'il conviendrait de dire
L'adoption à l'arraché de la loi.
Tags : à l'arraché, à l'arrachée
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Commentaires
C'est d'autant plus suspect que la locution y est présentée comme adverbiale et que tous les exemples cités sont écrits sans e final...
3CazibusSamedi 16 Juin 2018 à 14:38Bonjour.
Il faut écrire : "à l'arraché", bien entendu.
Il s'agit là d'une locution adverbiale, c'est-à-dire réputée, comme les adverbes, être neutre et de genre et de nombre.
Or, un adverbe est invariable (c'est d'ailleurs ce qui le différencie des noms et des adjectifs).
CQFD
4LaurensDimanche 8 Mai 2022 à 01:02
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Merci pour ce complément d'informations. J'avoue avoir écrit à l'arraché, puis tout à coup, ne plus être sure de moi.
C'est toujours agréable de voir que les blogs ont d'excellentes références.
Étrangement, le trésor de la langue française informatisé (http://atilf.atilf.fr/) indique un possible accord (« Loc. adv. À l'arraché(e). Avec un effort, un acharnement considérables », y lit-on).
Le CNRS aurait-il fauté ?