• « L'armistice fut signé le 3 septembre à Cassibile, au nord de Syracuse, et annoncé le 8 par voix de presse. »
    (Stéphane Bern, dans son roman Les Couronnes de l'exil, publié aux éditions Balland.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Si l'exactitude est la politesse des rois, l'orthographe n'est pas toujours celle de leurs thuriféraires. Car enfin, est-il besoin que je vous mette sur la voie ? Notre spécialiste des têtes couronnées s'est royalement fait... berner par une vulgaire homophonie entre voix (du latin vox, « voix, son, mot ») et voie (du latin via, « chemin, route ; voyage, trajet ; méthode, moyen, procédé »). Rappelons ici que l'expression par voie de s'écrit régulièrement avec le substantif voie, pris au sens figuré de « moyen, procédé employé pour atteindre un but » : par voie d'affichage, par voie d'annonce, par voie de conciliation, par voie de décret, par voie de justice, par voie de nomination, par voie de presse, par voie de requête, par voie de tirage au sort... et, avec la nuance de « intermédiaire (ou suite d'intermédiaires) », par voie de hiérarchie, par voie de conséquence...

    À la décharge de l'animateur qui donne de la voix sur RTL, reconnaissons que grande est la tentation, avec un nom de chose aussi aisément personnifiable que presse (ou justice), d'interpréter ladite construction comme une ellipse de « par la voix de » : « Voilà ce que, par la voix de la presse [comme on dirait « par la voix de leur avocat »], [ils] ont tenu à porter à la connaissance du public » (journal Combat, 1952, cité par le TLFi). La confusion, au demeurant, ne date pas d'hier : « par voix de criée » (1391), « par voix de scrutine [= scrutin] » (1514), « par voix de supplication » (1539), « par voix de fait » (1667) et se répand, pour couronner le tout, jusque dans certains ouvrages de référence : « par voix de conséquence » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1751), « par voix de suffrage » (Grand Larousse du XIXe siècle, 1870). Il n'est pourtant que d'emprunter les voies de la logique, souvent moins impénétrables que celles de nos dictionnaires, pour entendre la voix de la raison...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    L'armistice fut annoncé par voie de presse.

     


    1 commentaire
  • « Après le coup de gueule de la CFDT, beaucoup chez LREM questionnent l'entêtement de Matignon. »
    (Erwan Bruckert et Marc Vignaud, sur lepoint.fr, le 13 décembre 2019)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Peut-on questionner autre chose qu'une personne ? Telle est la question du jour ! Et, comme souvent en matière de langue, force est de constater que la réponse varie selon les spécialistes (non grévistes) interrogés... Jugez-en plutôt.

    L'Académie, suivie par Larousse et par Robert, n'emploie questionner qu'avec un complément humain : « Interroger quelqu'un, lui poser une ou des questions sur un sujet donné. Elle l'a questionné sur ses goûts, sur ses projets » (neuvième édition de son Dictionnaire).

    Littré et le TLFi font exception, en proposant quelques exemples de construction avec un complément inanimé : « Mépriser ma jambe [malade] et [...] ne la point questionner à tout moment » (Mme de Sévigné, 1685), « Son attention à évaluer le boudoir s'expliquait : il était parti de l'éléphant doré qui soutenait la pendule pour questionner ce luxe » (Balzac, 1836), « La campagne se prête à toutes les divagations du rêve. On questionne bien tranquillement le ruisseau, l'arbre, les grandes luzernes : ils ne répondent pas » (Jules Renard, 1889). Ces emplois sont qualifiés d'analogiques (TLFi) ou de figurés (Littré), dans la mesure où les questions ne sont plus posées à un être humain mais à une chose personnifiée. Goosse, pourtant, croit déceler une nuance de sens dans la citation de Balzac : « [Cet exemple] donne au verbe un sens figuré proche d'évaluer, [...] ce qui préfigure un développement fréquent dans le français intellectuel de notre temps : Avant de questionner les différentes méthodes (Denis Slakta, 1969). La philosophie s'arroge le droit de questionner (sans même le contester) le bien-fondé des institutions (Jean Starobinski, 1970). » Il me semble, pour ma part, que tous ces emplois sont surtout analogiques de ceux de interroger construit avec un complément inanimé au sens de « examiner (quelque chose) avec attention pour trouver un enseignement, une réponse à une question que l'on se pose ». Comparez : « [Les] individus qui se croient vieux avant la vieillesse osent à peine questionner le miroir » (Le Musée pour rire, 1839) et « Pour la première fois de ma vie j'interroge anxieusement les miroirs » (Gide, 1919) ; « Chaque fois que mes yeux se levaient pour questionner l'horizon » (Michel del Castillo, 1993) et « Godfrey s'était relevé et interrogeait l'horizon » (Jules Verne, 1882) ; « Ni les uns ni les autres ne se lasseront de questionner cette époque si féconde en enseignements » (Thiers, 1871) et « Il interrogeait une époque primitive et à demi-effacée » (Augustin et Amédée Thierry, 1834). Aussi s'étonne-t-on de l'entêtement des retraités du quai Conti à ignorer questionner quelque chose alors qu'ils admettent sans ciller interroger quelque chose. Comprenne qui questionnera !

    Nos cousins québécois, de leur côté, poussent un énorme coup de gueule contre le glissement de sens de « poser des questions à » à « se poser des questions sur, (re)mettre en question », récemment apparu sous l'influence de l'anglais to question (« avoir ou exprimer des doutes, des réserves sur [quelque chose] ») : « Contrairement à la forme anglaise to question, ce verbe [questionner] n'a pas le sens des mots et expressions suivants : mettre en doute, douter de, contester, mettre en question et s'interroger sur [quelque chose] » (Office québécois de la langue française), « Questionner des faits est un anglicisme » (Centre de communication écrite [CCE] de l'Université de Montréal), « [L'idée de point qui prête à discussion], toujours vivant[e] dans les locutions mettre en question, remettre en question ainsi que pour le verbe anglais to question, n'appartient pas au verbe français questionner » (Marie-Éva de Villers). Seulement voilà : coup de théâtre dans l'édition 2016 du Petit Robert (« Little Bob » pour les intimes prompts à railler son anglomanie galopante [*]), où l'article « questionner » accueille le sens anglais sans la moindre réserve. Il faut bien reconnaître, n'en déplaise aux spécialistes du pays des caribous, que ledit emprunt a sur ses équivalents français « pur sucre », pardon « pur sirop d'érable » le mérite de la concision... mais aussi l'inconvénient de l'ambiguïté. Car enfin, pour reprendre l'exemple du CCE, questionner des faits pourrait bien alors signifier une chose : « les examiner avec attention pour trouver des réponses » (sens figuré) et son quasi-contraire : « les mettre en doute, les contester » (anglicisme). Pas de quoi pousser dans la rue un syndicaliste de la CGT, mais avouez tout de même que l'on a vu mieux, question précision...

    Vous l'aurez compris : dans le doute, mieux vaut s'en tenir prudemment à l'acception première de questionner, « poser des questions (fût-ce à quelque chose) ». Et attendre de voir si Larousse finit par se ranger à l'avis de son petit camarade. Ce n'est, je le crains, qu'une question... de temps.

    (*) Savoureuse formule empruntée à Bruno Dewaele.


    Remarque 1 : Questionner s'est aussi employé, en droit ancien, au sens de « soumettre (un prévenu) au supplice de la question, à la torture ». Cette acception est aujourd'hui vieillie.

    Remarque 2 : Voir également le billet Interroger.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Beaucoup contestent (?), remettent en question (?), s'interrogent sur (?) l'entêtement de Matignon.

     


    votre commentaire
  • Quel maire... de !

    « "Sa voix était forte, à l'image de sa silhouette charpentée que l'on croisait, il y a peu de temps encore, dans les allées du marché", déclare Christian Laprébende, le maire de Auch » (à propos du chef étoilé André Daguin, récemment décédé).
    (Magalie Lacombe, sur francebleu.fr, le 3 décembre 2019)  



    FlècheCe que j'en pense


    Il m'étonnerait que l'édile cité par notre journaliste se soit présenté comme étant « le maire de Auch ». Car enfin, pour alimenter l'inévitable parallèle avec la gastronomie française, aurait-on idée de manger des pruneaux de Agen, des calissons de Aix, de la fourme de Ambert, du saucisson de Arles, du piment de Espelette, des rillettes de Le Mans ou des lentilles de Le Puy ? Renseignements pris, le commissaire Magret me confirme de sa mine confite que, hélas ! cela s'entend (dans les bistrots de gare, notamment) et parfois même s'écrit (dans certains canards). Il y a de quoi jeter un froid (de la même espèce).

    Rappelons à toutes faims... pardon à toutes fins utiles que la préposition de s'élide régulièrement devant un nom de lieu commençant par une voyelle ou un h muet, et que le groupe de le, de les (mais pas de la) se contracte en du, des quand ledit nom commence par l'article défini. La règle a beau ne pas casser trois pattes à un palmipède, force est de constater qu'elle bat dangereusement de l'aile par les temps qui courent. Reconnaissons toutefois, à la décharge de vilains petits canards toujours plus nombreux à y contrevenir, qu'il est quelques cas scabreux, à l'oral, où la bienséance incite à redoubler de prudence : le maire de la petite ville d'Eu, en Normandie, en sait quelque chose...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le maire d'Auch.

     


    3 commentaires
  • « Les traitements [contre le sida] se prennent à vie. Il y a des effets indésirables et notamment le risque de contracter un cancer ou une maladie cardio-vasculaire. »
    (Claire Charbonnel, sur francebleu.fr, le 1er décembre 2019)  



    FlècheCe que j'en pense


    Un lecteur de ce blog(ue) réagit à l'un de mes précédents billets (1) en ces termes : « Je suis surpris de votre proposition "contracter une maladie cardiovasculaire". J'aurais instinctivement réservé ce verbe à une maladie infectieuse [...] : contracter une grippe, contracter la scarlatine… Mais je ne dirais a priori pas contracter un AVC, un calcul biliaire ou une luxation de l'épaule... »

    Que disent les ouvrages de référence, eux ? Pas grand-chose le plus souvent : « Contracter une maladie, en être atteint » (Littré, Grand Larousse de la langue française), « Attraper (un mal, une maladie) » (Robert), « Tomber malade » (Dictionnaire des difficultés du français de Jean-Paul Colin). Rien que de très conforme à l'étymologie, à y bien regarder : emprunté du latin contrahere (proprement « tirer ensemble, rassembler, réunir en un seul point »), contracter s'emploie ici figurément et de longue date (2) au sens de « faire venir à soi, s'attirer (un mal, une maladie [3]) », sans plus de précision sur le type d'affection en jeu. Seulement voilà : plus d'un patient a du mal à avaler la pilule. Ainsi de Girodet, qui entend établir − avec plus ou moins de bonheur − des distinguos fondés sur des considérations stylistiques et sémantiques : « L'expression attraper un rhume (la grippe, la varicelle, etc.) appartient à la langue familière. Dans la langue plus soutenue, on écrira prendre (un rhume), contracter (une maladie contagieuse). » (4) N'attendez pas plus d'arguments du Dictionnaire de l'Académie : « Contracter se dit aussi des maladies qui se gagnent par contagion ou de quelque autre manière », lit-on dans les éditions de 1718 à 1935. Nous voilà bien avancés ! (5) Car enfin, que doit-on comprendre ? Que les Immortels réservaient contracter aux seules maladies transmissibles, quel que soit leur mode de transmission : par contagion, par infection, par inoculation, par hérédité ou que sais-je encore ? Ou bien qu'ils admettaient l'extension d'emploi dudit verbe à certaines affections non transmissibles ? Avouez que l'on a connu potion plus limpide, et ce n'est pas celle proposée dans la dernière édition de 1992 qui va achever de dissiper le trouble : « Contracter une maladie, en être atteint de façon soudaine. » Oublié le critère de transmissibilité (6), au profit de celui, inédit, de soudaineté... Ce revirement est d'autant plus surprenant qu'il semble aller à l'encontre de la notion de durée ou de répétition autrefois attachée au verbe contracter : « Se dit des choses qu'on acquiert à force de faire souvent » (Richelet, 1690), « Contracter une maladie, Prendre à la longue, avec le temps, une maladie » (Académie, 1694). Vous l'aurez compris : dans cette affaire, les spécialistes du quai Conti ont bien du mal à établir un diagnostic précis...

    Tout bien ausculté, c'est à Jean-Charles Laveaux que l'on doit la définition la plus détaillée : « Contracter une maladie, être attaqué [= atteint] d'une maladie par suite de quelques actions répétées, par la fréquentation de lieux malsains, ou de personnes qui sont affectées de cette maladie. Les gens de ce métier sont sujets à contracter cette maladie » (Nouveau Dictionnaire de la langue française, 1820). Si les affections contagieuses figurent toujours en bonne place parmi les compléments du verbe contracter, les maladies provoquées par certaines mauvaises habitudes et, dans le cadre professionnel, par certains gestes ou postures de travail sont également de la partie, comme le laissait déjà entendre Furetière dans son dictionnaire posthume (1690) : « Souvent pour être trop sédentaire, trop assidu au travail, on contracte de fâcheuses maladies. » Partant, rien ne semble s'opposer, sur le plan de la langue, au fait de contracter une maladie cardiovasculaire (à force de manger trop gras), un cancer des poumons (à force de trop fumer), voire une tendinite (à force de soulever des charges trop lourdes). Force est, du reste, de constater que les anciens n'ont pas attendu les lexicographes pour accommoder ledit verbe à toutes les sauces médicales, et cela fait belle lurette que l'on est susceptible de contracter un ulcère (Lazare Rivière, Les Observations de médecine, 1680), le scorbut (Barthélémy Saviard, Nouveau Recueil d'observations chirurgicales, 1702), une douleur (traduction d'un commentaire de Michael Ettmüller sur le Traité du bon choix des médicamens de Daniel Ludwig, 1710), une fièvre violente (Le Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri, édition de 1718), une entorse (Louis-Bernard La Taste, Lettres théologiques, 1739), une tumeur (Nicolas Eloy, Dictionnaire historique de la médecine, 1755), un mal de tête (Pierre-Joseph Buc'hoz, Traité historique des plantes, 1770), une blessure (François Rozier, Observations sur la physique, sur l'histoire naturelle et sur les arts, 1775), un anévrisme (Auguste-Bernard Bonnet, Essai sur les anévrismes, 1816), des rhumatismes (Charles-Louis-Fleury Panckoucke, Dictionnaire des sciences médicales, 1818), un cancer (Jean-Casimir Lemercier, Vues générales sur le cancer, 1819), l'arthrite (Louis Charles Roche, Nouveaux Éléments de pathologie médico-chirurgicale, 1828), l'ictère (Compendium de médecine générale, 1844), une phlébite (Recueil de médecine vétérinaire, 1852), une hernie (Encyclopédie du XIXe siècle, 1867), un abcès (Aristide Verneuil, Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1870), etc. (7)

    Devant pareille cacophonie, on comprend que l'usager soucieux de sa langue et de sa santé soit tenté de passer son chemin (avoir fait figure de remède moins risqué) ou de réserver contracter aux seules affections transmissibles. Gageons que personne n'en fera une maladie...
     

    (1) http://parler-francais.eklablog.com/c-est-grave-docteur-a169949888

    (2) « [Ils] jurèrent de n'en jamais contractier dommaige, injure ni déshonneur l'un de l'autre » (Chronique dite de Jean Raoulet, avant 1470), « Ce n'estoit point une maladie ordinaire, ny contractee des causes accoustumees et communes » (Jacques Amyot traduisant Plutarque, 1572).

    (3) Et aussi : un mariage, des dettes..., le verbe ayant été d'abord introduit en droit avec le sens de « prendre un engagement par contrat ».

    (4) C'est pourtant contracter un rhume qui est préconisé par Poitevin, Littré et l'Académie...

    (5) Même flou observé chez Noël et Chapsal : « Contracter une maladie. Gagner » (Nouveau Dictionnaire de la langue française, 1826-1857), puis « Gagner par contagion ou par des circonstances particulières » (édition de 1860).

    (6) Il resurgit toutefois à l'article « maladie » : « Contracter une maladie contagieuse » et à l'article « contagion » : « La coqueluche se contracte par contagion », histoire d'entretenir la confusion...

    (7) On notera, dans le cas particulier du scorbut et du cancer, que l'emploi de contracter peut s'expliquer par le fait que certains médecins tenaient autrefois ces deux maladies pour contagieuses.


    Remarque : Il existe un autre verbe contracter, formé plus récemment sous l'influence de contraction pour signifier « réduire de volume ; resserrer, raidir ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose ?

     


    3 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires