• « Une fois mis en moule, les grains de caillé doivent encore être pressurisés. »
    (entendu sur France 3, le 26 août 2017) 

     

      FlècheCe que j'en pense


    Coup de pression, hier midi, au cours du journal présenté par Catherine Matausch, sur les auteurs d'un reportage consacré à la fabrication du mont-d'or (*), le fameux fromage au lait cru de vache qui, dit-on, agrémentait déjà la table de cette bonne pâte de Louis XV. N'y entend-on pas, fort curieusement, que le caillé doit être... pressurisé ? Pas de quoi en faire un fromage, me direz-vous, mais enfin tout porte à croire que nos journalistes se sont emmêlé les meules entre différents membres de la famille du verbe presser.

    Emprunté du latin pressura (« action de faire pression ») − issu de pressus, participe passé de premere (« presser, comprimer »), lui-même à l'origine de presser par l'intermédiaire de pressare −, le mot pressure est attesté en ancien français au sens propre de « pression (action ou fait de presser, de serrer) » et au sens figuré de « oppression, tourment, violence ». D'après les dictionnaires d'étymologie, l'anglais s'en serait emparé à la fin du XIVe siècle pour former pressure (« pression »), dont le néologisme dérivé pressurize nous est revenu sur un plateau, au beau milieu du XXe siècle, sous la forme (critiquée, il va sans dire) pressuriser, avec le sens technique de « maintenir un espace clos à une pression normale pour le corps humain » : une cabine pressurisée pour « une cabine sous pression ». Rien à voir, vous en conviendrez, avec notre vacherin du Haut-Doubs, fût-il fabriqué en altitude, à proximité du mont du même nom dont le sommet culmine à quelque 1500 mètres.

    Le paronyme pressurer, avec lequel pressuriser est parfois confondu, ferait-il mieux l'affaire ? Rien n'est moins sûr. Dérivé de pressoir (issu du supin pressum du même latin premere), il signifie proprement « passer au pressoir (des fruits, des grains) pour en extraire le jus, l'huile », si l'on en croit les définitions du Dictionnaire de l'Académie et du TLFi. Partant, il n'est que trop clair que ledit verbe s'accommode moins du fromage que du raisin, des pommes ou des olives. Seulement voilà, Littré ne l'entend pas de cette oreille : « [Pressurer] se dit aussi de la fabrication des fromages », affirme le lexicographe sur la foi d'une citation de Voltaire : « Les fromages qu'ils ont pressurés du lait de leurs vaches, de leurs chèvres ou de leurs brebis » (Dictionnaire philosophique). Oserai-je avouer que cet emploi me plonge dans l'embarras ? D'une part, en ne conservant que l'idée de « soumettre à l'action du pressoir », il gomme une différence de taille : dans le cas des fruits et des grains, l'objectif est de récupérer le liquide extrait, alors que, dans le cas du fromage, c'est de l'évacuer. D'autre part, il entretient une confusion plus grande encore, me semble-t-il, avec un verbe qui, lui, est indissociablement lié à l'univers du lait : ce faux frère de présurer (avec s prononcé z) − entre nous soit dit, une vraie... vacherie, cette quasi ressemblance graphique et phonétique −, lequel est dérivé de présure (« substance organique qui contient une enzyme permettant de faire coaguler le lait »), qui a cette fois à voir avec le latin prehendere (« saisir, prendre »). Je n'en veux pour preuve (de cette confusion) que cet exemple glané sur la Toile : « Une fois le lait pressuré [au lieu de présuré], on obtient un caillé blanc qui est moulé. »

    Dans le doute, mieux vaut ici s'en tenir prudemment au paterfamilias presser, à propos duquel le Dictionnaire de l'Académie donne cet exemple édifiant que je vous livre en buvant du petit lait : « Lors de la fabrication de certains fromages, on presse le caillé pour en accélérer l'égouttage. » Pourquoi faire simple, je vous le demande, quand on peut faire... gratiné ?


    (*) J'adopte ici la graphie préconisée par Larousse et Robert, avec minuscule et trait d'union : un mont-d'or, des monts-d'or (= le fromage), à distinguer du mont d'Or (= le sommet du Jura qui a donné son nom audit fromage).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les grains de caillé doivent encore être pressés.

     


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  • Pour le linguiste Cornelis De Boer, il s'agit là d'« un cas de syntaxe figée des plus curieux ». Et de fait, nombreux sont les spécialistes de la langue qui se sont épuisés sur l'origine, pour le moins controversée, de cette locution à la forme si insolite. Car enfin, s'interroge Grevisse à bon droit, quand on écrit : « Il s'est longtemps refusé à cet arrangement ; enfin, de guerre lasse, il y a consenti », comment expliquer ce féminin lasse, accordé avec guerre, alors que manifestement c'est le personnage masculin représenté par il qui se trouve las (prononcé la), fatigué de résister ? Passons en revue les différentes hypothèses avancées.

    À en croire Kristoffer Nyrop et Georges Gougenheim, ce « faux accord » serait une survivance de l'ancienne prononciation du s en position finale, lequel restait sonore devant une pause (marquée par une ponctuation) comme c'est encore le cas dans hélas ! − mot composé, est-il besoin de le rappeler, de et de las, au sens ancien de « malheureux ». L'oreille croyant percevoir une forme féminine et l'œil étant conforté dans ce sens par le voisinage du mot guerre, la graphie de guerre lasse se serait vicieusement imposée en lieu et place de de guerre las.

    D'autres commentateurs, au XIXe siècle, arguant que ladite locution signifie proprement « quand on est las de la guerre », « après avoir longtemps résisté » et, par conséquent, que l'adjectif las ne peut ici se rapporter qu'à une personne, ont prétendu qu'il fallait écrire de guerre las ou lasse selon que le locuteur était un homme ou une femme : « À moins que vous n'apparteniez à la plus belle moitié du genre humain, ne dites pas : de guerre lasse, mais : de guerre las » (Charles Ferrand, Dictionnaire des curieux, 1880), « L'exemple donné par l'Académie est fautif, puisqu'elle dit : "Il y a consenti de guerre lasse" » (Benjamin Legoarant, Nouvelle Orthologie française, 1832). Force est de constater que ces messieurs ont fait quelques émules : « En 1880, de guerre las, Henri Brun partit pour Paris » (Émile Henriot), « De guerre las (je ne suis pas de la jaquette à traîne pour écrire "de guerre lasse") » (Frédéric Dard). Après tout, las obéissait bien aux règles d'accord de l'adjectif, à l'époque où notre expression n'était pas encore figée : « Le Roy eftant las de la guerre » (Histoire des Pays-Bas, 1643), « La Chrestienté qui estoit lasse de la guerre » (Histoire de la guerre de Flandre, 1665). Il n'empêche, observe Grevisse, écrire de guerre las « n'est sûrement pas conforme à l'usage moderne ». Qu'on en juge : « Quand toutes les intrigues, les finesses italiennes sont épuisées et déconcertées, les partis, assez forts pour combattre et trop faibles pour vaincre, font la paix de guerre lasse » (Charles Pinot Duclos, 1791), « Elle s'était livrée, de guerre lasse, à toutes sortes de charlatans » (Alexandre Dumas), « À force de m'obséder, je me rendis, de guerre lasse » (Chateaubriand), « De guerre lasse, enfin, on entre » (Musset), « Et c'est moi qui reviens à vous, de guerre lasse » (Verlaine), « Je me soumets de guerre lasse, mais en déclinant toute responsabilité » (Gide), « De guerre lasse, je quitte l'endroit » (Alain-Fournier), « Le chauffeur, de guerre lasse, avait sans doute accepté de charger un piéton persuasif » (Cocteau), « Il a résisté pied à pied, [...] et puis, de guerre lasse, il s'est rendu » (Jean Dutourd).

    Pour Littré, « lasse se rapporte bien à guerre, et [...] la locution représente une figure hardie où la lassitude est transportée de la personne à la guerre : de guerre lasse, la guerre étant lasse, c'est-à-dire les gens qui font la guerre étant las de la faire ». Autrement dit, nous aurions affaire à un bel exemple d'hypallage, figure de style consistant à déplacer un terme (le plus souvent un adjectif) pour le mettre en relation avec un terme différent de celui auquel on le rattache ordinairement, le sens général de la phrase restant le même. Raoul de Thomasson, dans Les Curiosités de la langue française (1938), va plus loin, en affirmant carrément que las change de sens en changeant d'affectation. C'est que le mot ferait partie de ces adjectifs, autrefois nombreux (délicieux, mémorable, solvable, etc.), ayant (ou ayant eu) deux acceptions différentes suivant qu'ils qualifient des personnes ou des choses : « Las, fatigué en parlant d'une personne, fatigant en parlant d'une chose. Ainsi s'explique la locution de guerre lasse, qui a donné lieu aux discussions grammaticales les plus bizarres, parce qu'on se refusait à comprendre que guerre lasse veut dire guerre qui fatigue. » Pour preuve, ces anciens emplois de las en parlant d'une chose : « Quand vous saurez ceste lasse novele » (Aleschans, chanson de geste de la fin du XIIe siècle), « Je veoie le terme de ma lasse vie approucher » (Chroniques de Saint-Denis, XIVe siècle), « En la lasse journée » (Le Dit de Guillaume d'Angleterre, XIVe siècle). En latin déjà cet usage était courant, si l'on en croit Pierre Guiraud dans Les Locutions françaises (1961) : res lassæ (« les choses lasses », d'où « l'adversité »), aquæ lassæ (« les flots assoupis »). De là, extrapole le linguiste, « on peut facilement imaginer un [ablatif absolu] bello lasso dont le sens serait "par suite d'une guerre ayant épuisé ses effets et ses moyens" » et qui, traduit en français, donnerait de guerre lasse. Une attestation en bonne et due forme serait toutefois la bienvenue...

    D'aucuns, sur le pied de guerre, ne manqueront pas d'objecter qu'en ancien français l'adjectif las est le plus souvent antéposé au nom de chose qu'il qualifie, alors que c'est l'inverse dans notre locution. Qu'à cela ne tienne ! Il n'est que de consulter la Toile pour s'aviser que la forme lasse guerre est bel et bien attestée, quoique tardivement, par exemple dans les Mémoires du marquis d'Argenson (milieu du XVIIIe siècle) : « Il en résultera ce que l'on appelle fin par lasse guerre » (entendez : une sorte d'armistice de fait, mais sans traité) et dans un numéro daté de 1819 du journal L'Indépendant : « Du moins les députés [...] ne se laisseront-ils pas vaincre de lasse guerre ». Voilà qui m'amène à évoquer un autre argument en faveur du rattachement de l'adjectif lasse à guerre : la locution voisine de bonne guerre, qui signifie « conformément aux règles et usages de la guerre » et se dit figurément d'un procédé habile, quoique légitime, consistant à mettre l'adversaire en difficulté et à prendre l'avantage. « J'ai fait tout ce que l'on peut faire et doit faire de bonne guerre », se serait ainsi défendu Mérigot Marchès lors de son procès au Châtelet en 1391. Aucune ambiguïté dans ce cas, vous en conviendrez : c'est bien la guerre qui est bonne − au sens militaire de « menée avec honneur, dans le respect des conventions » (1) −, pas le célèbre Limougeaud à la solde des Anglais.

    Pierre Guiraud, encore lui, signale − à titre de curiosité ? − une autre théorie, selon laquelle notre locution s'analyserait sur le modèle de à cœur joie (« à [= avec] joie de cœur »), à savoir comme « "de (= par suite de) lasse de guerre" où lasse pourrait être le substantif dérivé de lasser, mot bien attesté dans l'ancienne langue avec le sens de lassitude ».

    Tout bien considéré, nos spécialistes ne s'accordent en réalité que sur un point : l'expression de guerre lasse serait apparue au XVIIIe siècle, avec un premier exemple chez Saint-Simon (2). Cette unanimité peut prêter à sourire quand on sait à quel point il est difficile de dater la rédaction de chaque feuillet des Mémoires du fameux duc − disons, pour l'extrait qui nous intéresse, entre 1714 (année des évènements relatés) et 1755 (année de la mort de l'intéressé). Dans cet intervalle, d'autres attestations sont également dignes d'intérêt : « Tout aussitôt on se sépara de guerre lasse » (Journal du marquis de Dangeau... « avec les additions du duc de Saint-Simon », 1715), « Le père l'abandonna de guerre lasse » (François Gayot de Pitaval, 1731). Surtout, on n'oubliera pas de mentionner cette phrase trouvée deux siècles plus tôt sous la plume de Rabelais : « Je suis las de guerre : las des sayes [du latin sagum, "tunique de guerre"] et hocquetons [casaques portées par les hommes d'armes]. » Pourrait-il s'agir, à l'inversion près, de la forme primitive de notre locution en cours de figement (notez l'absence de l'article devant guerre) ? Las ! je ne saurais l'affirmer...

    (1) Et non pas au sens courant de « plaisant, agréable », comme le donne à penser Bernard Pivot, un rien démagogue, dans un tweet daté d'août 2015 : « Une expression détestable : "c'est de bonne guerre". Il peut y avoir des guerres inévitables ou justes, il n'en est point de bonnes. »

    (2) « Des paroles aussi expressives de la violence extrême soufferte, et du combat long et opiniâtre avant de se rendre, de dépit et de guerre lasse, aussi évidentes, aussi étrangement signalées, veulent des preuves aussi claires, aussi précises qu'elles le sont elles-mêmes. »

     

    Séparateur de texte


    Remarque 1
    : Faute d'avoir trouvé trace, dans le Roman de la Rose, des graphies auxquelles l'auteur fait référence, je ne m'étendrai pas sur la thèse, rapidement évoquée par Thomasson, selon laquelle de guerre lasse serait la forme altérée de de querre lasse, comprenez : las (lasse) de querre, ancienne forme de quérir (« chercher »).

    Remarque 2 : Sur le front du niveau de langue, la locution de guerre lasse a également fait l'objet de jugements contradictoires : « Figuré et familier » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Elle semble avoir toujours eu un usage plus littéraire que réellement populaire » (Claude Duneton).

     

    De guerre lasse

     


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  • « Big Ben, [...] l'horloge la plus célèbre du monde, a sonné pour la dernière fois à midi précise(s), avant de se taire pendant quatre ans, le temps d'effectuer des travaux de rénovation. »
    (Julien Arnaud, sur TF1, le 21 août 2017)

    (photo Colin / Wikimedia Commons)

      FlècheCe que j'en pense


    Entendu hier soir, à la fin du journal de Julien Arnaud, un à midi précise(s) de curieuse facture. Rappelons ici que, si l'adjectif précis, après une indication horaire, s'accorde naturellement au féminin avec le mot heure(s) (il est une heure précise, à une heure vingt précise, à deux heures et demie précises... [*]), il prend le genre opposé quand il qualifie les substantifs masculins midi ou minuit, qui désignent respectivement le milieu du jour et le milieu de la nuit : « Nous dînons à midi précis » (Littré), « À midi précis, à minuit précis, à midi quarante précis » (Grevisse), « Il est midi et demi précis » (Office québécois de la langue française), « Son sermon est promis depuis trois mois pour la pentecôte, à midi précis » (Musset), « Tous les jours, à midi précis, il arrivait » (Pierre Loti), « Enfin, elle m'a donc reçu, et elle m'a invité… Minuit précis, après le théâtre » (Zola).

    Mais voilà, grande est la tentation, notamment dans le français parlé, de dire à midi précise(s), par analogie avec à douze heures (= midi) précises ou par ellipse du mot heure dans un hypothétique à midi, (heure) précise. À y regarder de près à mes heures perdues, force m'est, hélas ! de constater que la langue écrite n'a pas l'heur d'être épargnée. Jugez-en plutôt : « Il faudrait [...] me le faire savoir à moi de bonne heure, c'est-à-dire à midi précises » (lettre de George Sand à Pauline Viardot), « Il y a maintenant un convoi de chemin de fer à midi précises » (lettre d’Édouard Cabarrus à Théophile Gautier), « Le rendez-vous était fixé à la Coupole, dans la partie Brasserie, n'est-ce pas, à midi précise » (Michel Arrivé). Reconnaissons, à la décharge des contrevenants, que la faute ne date pas de la dernière heure. En 1811, Girault-Duvivier la dénonçait déjà dans sa Grammaire des grammaires : « On dit : J'irai vous voir à midi précis ; [...] et non pas : j'irai vous voir à midi précise. » Il faut croire qu'en matière d'abus langagier le temps reste désespérément figé.


    [*] On notera que la fraction horaire qui suit l'heure n'a aucune incidence sur l'accord.

    Remarque 1 : Les mêmes observations valent pour passé : « À midi passé » (Grevisse). Mais, curieusement, l'hésitation n'est guère de mise dans ce cas ; rares sont, en effet, les attestations des graphies midi passée ou midi passées. À la bonne heure !

    Remarque 2 : Selon l'Académie, on écrit : à six heures juste (adverbe), à six heures sonnantes, battantes, tapantes (voire pétantes dans la langue très familière), à midi sonnant (midi étant du masculin), à minuit sonnant (plus rarement : sonnante, minuit « s'[étant] utilisé au féminin jusqu'au XVIe siècle et se rencontr[ant] encore sous cette forme dans des emplois régionaux ou littéraires »). On notera cependant que, dans ces emplois, battant, pétant, sonnant, tapant restent parfois invariables, avec une valeur de participe présent. Curieusement, le Petit Larousse illustré, qui laisse pourtant le choix dans son Mémento de grammaire entre partir à trois heures sonnantes (adjectif) et partir à trois heures sonnant (participe présent), affirme que seul à une heure sonnant est correct. Il va sans dire qu'une explication serait la bienvenue. Las ! l'intéressé, quelle que soit l'heure, est aux abonnés absents...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Big Ben a sonné pour la dernière fois à midi précis.

     


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  • Retour de flamme

    « Ces petits boutons rouges inflammés sont aussi connus sous le nom de folliculite. »
    (paru sur madmoizelle.com, le 2 juillet 2017)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Doit-on dire inflammer ou enflammer ? inflammation ou enflammation ? Loin de moi l'intention d'attiser les braises d'un débat prompt à enflammer les esprits, mais enfin la question mérite d'être posée. Hanse y répond de façon catégorique : on dit « inflammation, et non enflammation, bien que le verbe soit enflammer ». À y regarder de près, cette bizarrerie de la langue n'a rien de surprenant pour qui sait que l'élément initial des verbes latins en in- a conservé sa forme originelle, en passant en français, dans quelques verbes de formation tardive et savante, mais s'est transformé en en- dans ceux de formation plus ancienne et populaire. Que l'on songe aux doublets empreindre et imprimer (du latin imprimere), employer et impliquer (implicare), enduire et induire (inducere), etc.

    Emprunté du latin inflammare (« mettre le feu à ; exciter quelqu'un, une passion ; irriter une plaie, un organe »), enflammer (et ses variantes enflamber, enflambler, enflaber, enflamer...) est ainsi apparu le premier dans notre lexique (à la fin du Xe siècle), avec le sens transitif de « mettre en flammes » puis de « rendre d'un rouge flamboyant », avant d'être rejoint par son doublet savant inflammer (parfois orthographié inflamber), attesté aux XVe et XVIe siècles au sens de « s'allumer, s'enflammer ; communiquer la flamme » (selon le Dictionnaire du moyen français), de « enflammer ; exciter ; irriter » (selon le Dictionnaire de la langue française du seizième siècle d'Edmond Huguet) : « [Louis d'Orléans, tout feu tout flamme, avait] une verge faite pour inflamber toute femme de luxure » (Jean Petit, cité par Alfred Coville, 1410), « Il va faire inflammer feu sy merveilleux que les pilliers de marbre et aultres pierres vont commencer a bruler » (Jehan Bagnyon, vers 1470), « Inflammer quant à soy la charité d'Eglise militante » (Jean Bouchet, 1545), « La véhémence de ses esprits trop inflammés d'ambition inusitée » (Guillaume Budé, 1547). Le verbe figure encore dans le Dictionnaire de Furetière, publié en 1690 : « Inflammable. adj. Qui se peut inflammer. »

    Aussi s'étonne-t-on de voir Bernard Pivot affirmer bien imprudemment, dans un tweet daté de mai 2012, que « le verbe inflammer n'existe pas ». Si ledit mot, carbonisé et remplacé par son aîné, est sorti d'usage depuis belle lurette, il a bel et bien existé, fût-ce le temps d'un feu de paille. À l'inverse, sur le front des substantifs associés, ce sont les formes en in- qui ont fini par s'imposer au détriment de celles en en-. Il en fut ainsi d'inflammation, calqué au XIVe siècle sur le latin inflammatio (« action d'incendier, incendie ; inflammation »), qui éclipsa la graphie enflammaison, attestée au XVIe siècle : « La raison du motif naturel d'une telle enflammaison » (Baïf), « L'enflamézon coulisse d'un long trait blanchissant » (Id.), « pure enflammaizon » (Rémy Belleau), « une enflammaison » (Guy Le Fèvre de La Boderie), « Les montaignes ardentes [du Soleil] qui de luy-mesme tirent l'origine de leur enflammaison » (Jacques Davy du Perron), « Enflammaison. Signifiait autrefois inflammation, incendie » (Louis-Nicolas Bescherelle), « Enflammaison. (Vieux langage.) Inflammation. Incendie » (Complément du Dictionnaire de l'Académie, 1839). On trouve toutefois trace, aux siècles suivants, de la forme enflammation, que ce soit dans des ouvrages de référence : « Il est bon de prévenir en même temps l'enflammation » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1777), « Il survient des enflammations dans la bouche » (Ibid.), « Cystite. Enflammation de la vessie » (Dictionnaire de Hocquart, 1837), « Enflammation. Inflammation » (Nouveau Glossaire genevois, 1852) ou sous quelques plumes réputées : « En cas d'enflammation de l'estomac et des entrailles » (Alexandre Dumas), « Une sourde enflammation gonflait la terre » (Giono). Coquilles d'impression ? Fautes franches ? Toujours est-il que l'on se gardera, de nos jours, de toute confusion entre les deux particules : enflammer, mais inflammation, inflammable, inflammatoire. Histoire d'éviter de se faire descendre en flammes.


    Remarque : Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le verbe latin inflammare dérive de flamma (« flamme, feu ») par préfixation en in- marquant non pas la privation, la négation (comme dans incassable, incroyable), mais l'aboutissement. L'antonyme du français inflammable est donc ininflammable (« qui ne peut prendre feu »), où le préfixe privatif in- précède l'élément in- (issu de la préposition latine in « dans, en, parmi, sur ») de l'adjectif inflammable.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ces petits boutons enflammés.

     


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  • « Le ministre de l'agriculture, Stéphane Travert, s'est défendu jeudi d'avoir mis un frein considérable aux aides à l'agriculture biologique, comme l'ont dénoncé les producteurs biologiques la semaine dernière. "Je m'inscris en faux sur des déclarations comme celles-là", a-t-il dit sur RTL. »
    (paru sur boursorama.com, le 3 août 2017)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Il n'aura échappé à personne que la préposition sur, qui pousse de nos jours à la vitesse d'une mauvaise herbe, est en passe d'envahir la plupart des champs autrefois réservés à ses congénères : on habite sur Paris (au lieu de à), on trouve à redire sur quelque chose (au lieu de à), on n'aboutit sur rien de concret (au lieu de à), on fait quelque chose sur deux heures (au lieu de en), on va voir mamie sur les quatre heures (au lieu de vers), on est sur un dossier important (au lieu de c'est un dossier important, il s'agit d'un dossier important), etc. Dernière victime en date de cette culture surintensive : la locution s'inscrire en faux. Jugez-en plutôt : « Une société de conseil [...] s'inscrit d'emblée en faux sur ce sujet » (BFM TV), « Le sénateur-maire [...] tient à "s'inscrire en faux sur ces déclarations infondées et inexactes" » (France Bleu), « L'OPH 32 s'inscrit en faux sur cette allégation » (La Dépêche), « Le spécialiste s'inscrit en faux sur l'idée, largement répandue, selon laquelle [...] » (L'Obs), « Nous nous inscrivons en faux sur ce point » (Le Monde), « Elle s'inscrivait en faux sur les arguments avancés dans la note » (Le Figaro(1). J'en étais resté, pour ma part, à la construction avec contre au sens courant de « opposer un démenti, s'élever contre (une proposition, une allégation...) » : « Ah ! je m'inscris en faux contre vos paroles » (Molière), « Invariable ? On peut hardiment s'inscrire en faux là contre » (Maurice Grevisse), « Je m'inscris en faux contre ce que vous venez de dire » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) et, elliptiquement, « Une méprise de mots contre laquelle Nay semblait s'être inscrit d'avance » (Buffon).

    Le tour, attesté au XVIe siècle (2), serait emprunté à la langue juridique, où s'inscrire en faux (ou à faux) se disait proprement pour « écrire son nom sur un registre en vue d'établir la fausseté d'une pièce », soit « soutenir en justice qu'un acte produit par la partie adverse est faux ou falsifié ». De là, selon toute vraisemblance, la tentation de la préposition sur, semée à tout vent dans le langage commun par confusion entre le support utilisé (s'inscrire sur un registre, sur une liste) et la chose dénoncée (s'inscrire contre quelque chose). Il n'empêche, on n'hésitera pas à poursuivre les contrevenants − fussent-ils animés d'intentions biologiquement pures − pour faux et usage de faux...

    (1) On récolte aussi sur la Toile de nombreux exemples avec la préposition avec (sous l'influence de être en froid avec ?) : « S'inscrire en faux avec l'idée que [...] » (Le Point), « Donald Trump s'inscrit en faux avec les différents concepts qui [...] » (Les Échos).

    (2) « S'inscrire en faux contre ceste loy Salique » (Responce des vrays catholiques françois à l'avertissement des catholiques anglois pour l'exclusion du roy de Navarre de la Couronne de France, 1588).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le ministre de l'Agriculture s'inscrit en faux contre ces déclarations.

     


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