• « Le fort de Seclin demeure le seul dans son état d’origine, ce qui en fait toute son originalité. »
    (paru sur lavoixdunord.fr, le 23 juillet 2016) 

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Sophie Boniface)

     

    « Pour Dany Cohn-Bendit, il y a effectivement des problèmes mais ce n'est pas le burkini qui en est à l'origine. »
    (paru sur europe1.fr, le 21 août 2016) 

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Trop point n'en faut ! nous dit en substance Dupré dans son Encyclopédie du bon français. Car enfin, employer à la fois l'adjectif possessif de la troisième personne et le pronom en au lieu de choisir l'un des deux pour renvoyer au même terme et remplir la même fonction constitue, en français moderne, « une grosse incorrection » − à tout le moins une regrettable redondance syntaxique. En effet, quand en (mis pour de lui, d'elle, de cela, d'eux, d'elles) est complément d'un substantif, il équivaut à son, sa, ses, leur, leurs. Aussi le journaliste de La Voix du Nord avait-il le choix entre : ce qui fait toute son originalité (adjectif possessif) et ce qui en fait toute l'originalité  (article défini et en(1). À sa décharge, force est de constater que la construction hybride qu'il a finalement retenue (à tort !) se trouve sous quelques plumes avisées : « Le théâtre fait partie de la littérature, doit en redevenir une de ses gloires » (Jules Romains, cité par Grevisse), « J'ai été élevée dans la haine, j'en connais ses conséquences et le moindre de ses visages » (Laurence Nobécourt). Rien à redire, en revanche, de cette phrase de Lamartine : « L'homme est comme l'arbre qu'on secoue pour en faire tomber ses fruits », en remplissant ici la fonction de complément de lieu et non de complément du nom fruit.

    Mais voilà que les choses se compliquent : des distinctions se font jour entre l'adjectif possessif de la troisième personne et la construction concurrente avec en suivi de l'article défini. Ainsi, nous apprennent les grammairiens (Grevisse et Hanse en tête), le possessif s'impose-t-il à l'exclusion de en (2) quand le nom de l'objet possédé est précédé d'une préposition : « Dans ce cas, l'emploi de en est impossible : J'ai parcouru la Suisse, et j'ai admiré la beauté de ses paysages » (Cours complet de grammaire française, 1861) ; « Je connais bien la Suisse, je ne me lasse pas de ses paysages » (Ferdinand Brunot) ; « Cette maison est éloignée mais j'apprécie la beauté de son site (et non j'en apprécie la beauté du site» (Le Robert) ; « Je revoyais [...] l'antique château [...], la rivière qui baignait le pied de ses murailles » (Benjamin Constant) et non « Elle [l'Ebre] coule autour de la ville, de manière qu'elle en baigne le pied des édifices en quelques endroits » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert). Partant, Hanse préconise d'écrire : « Cette légende est très vieille ; peut-être quelque fait historique est-il à son origine ; et non pas [en est-il à l'origine]. » Voilà qui, à n'en pas douter, risque d'en surprendre plus d'un... jusque dans les rangs des spécialistes de la langue eux-mêmes. Ne lit-on pas à l'entrée « coupable » du Larousse en ligne : « Qui est responsable d'une faute, d'un mal, qui en est à l'origine » (3) et sous la plume de Jean-Pierre Colignon : « L'acception de ladite expression enjolive le fait divers qui en est à l'origine » ? Gageons que la question du caractère figé ou non de l'expression être à l'origine de n'est pas étrangère à ce flottement syntaxique.

    Les grammairiens auraient donc oublié d'accorder leurs violons. La chose n'est pas nouvelle et le mal pas bien grand, me rétorquera-t-on. Il est vrai que l'usager de la langue en a vu d'autres...

    (1) Si la seconde option a la préférence des puristes, depuis que la Grammaire de Port-Royal (1660) réserve le possessif aux êtres humains (ou considérés comme tels) et en aux choses, « le possessif en relation avec un nom de chose tend à gagner du terrain », observe toutefois Albert Dauzat.
    Pour Thomas, l'emploi du possessif est surtout déconseillé chaque fois que la possession ne peut se concevoir : « J'ai vu ce monument, en voici la photo (et non voici sa photo, un monument ne possédant pas une photo). »

    (2) Même avec un antécédent non humain.

    (3) Le TLFi, de son côté, s'en tient prudemment à « qui est à son origine » à l'entrée « primitif ».


    Voir également le billet Dont qui choque.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ce qui fait toute son originalité ou ce qui en fait toute l'originalité.

    Il y a des problèmes, mais ce n'est pas le burkini qui est à leur origine (selon Hanse).

     


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  • « C'est probablement le plus beau livre qui m'ait été donné de lire. »
    (Joël Dicker, dans son roman La Vérité sur l'affaire Harry Quebert, publié aux éditions de Fallois)

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Un habitué de ce blog(ue) attire mon attention sur ladite tournure, employée à plusieurs reprises dans le roman de Joël Dicker : « J'aurais pour ma part spontanément écrit : "qu'il m'ait été donné de lire". S'agit-il d'une erreur ? »

    Mon interlocuteur a bien raison de se montrer suspicieux. Car enfin, je vous le donne en mille, tout porte à croire que le jeune écrivain suisse, fût-il auréolé du Grand Prix du roman de l'Académie française et du prix Goncourt des lycéens, s'est emmêlé les crayons entre la construction personnelle et la construction impersonnelle du verbe donner. Comparez : C'est probablement le plus beau livre qui m'ait été donné et C'est probablement le plus beau livre qu'il m'ait été donné de lire.

    Dans le premier exemple, où le verbe donner se trouve à la forme passive personnelle, livre est l'antécédent du pronom relatif sujet qui. Dans le second exemple, on a affaire au tour donner de suivi d'un infinitif − qui signifie « permettre de, donner la possibilité de » (Le sort lui a donné de réaliser tous ses projets. Le ciel nous a donné de surmonter cette épreuve) −, employé à la forme passive impersonnelle : il est donné à quelqu'un de faire quelque chose. La donne est alors différente : livre est l'antécédent du pronom relatif que (élidé devant le sujet apparent il), complément d'objet direct de l'infinitif lire. Voici quelques exemples, donnés à titre indicatif, de cette dernière construction : « Toutes les personnes véritablement supérieures qu'il m'a été donné de fréquenter » (Anatole France), « Voilà, certes, un des plus rares spectacles qu'il m'ait été donné d'admirer » (Guy de Maupassant), « Je ne me souviens d'elle que comme de la créature la plus ratatinée qu'il m'ait été donné de voir » (André Gide), « Le général de Gaulle [...] est en vérité le plus humain des hommes politiques qu'il m'ait été donné d'approcher » (François Mauriac), « Il n'est pas douteux que la France soit un pays beaucoup moins raciste que tous ceux qu'il m'a été donné de voir » (Albert Camus), « Les façons de combattre des divers peuples qu'il m'a été donné de rencontrer » (François Cavanna).

    D'aucuns se donneront peut-être la peine de faire observer, avec quelque apparence de raison, que les verbes qui peuvent s'employer de manière personnelle autant qu'impersonnelle s'accommodent d'ordinaire, et souvent sans la moindre distinction de sens, du relatif qui comme de la forme qu'il. Ne dit-on pas aussi bien, par exemple : les forces qui lui restent que les forces qu'il lui reste ? Certes. Mais encore faut-il que lesdits verbes aient dans la tournure personnelle la même construction que dans la tournure impersonnelle ; c'est le cas de arriver, plaire, rester, se passer... mais pas de donneril m'a été donné de lire un livre ne saurait correspondre la forme un livre m'a été donné de lire). Aussi se gardera-t-on d'imiter cette phrase de Joseph Joffo dénichée dans Un Sac de billes : « Le soir, elle fit le meilleur gratin dauphinois qui m'ait jamais été donné de manger. » Histoire d'éviter toute indigestion.

    Remarque 1 : Il en va tout autrement des tournures du type donner l'ordre (le pouvoir, le droit, l'autorisation, la permission, etc.) de faire quelque chose, où l'infinitif ne se rapporte plus au verbe donner mais à son complément d'objet direct : « J'obéirai à l'ordre qui m'a été donné de n'écrire aucun livre » (Fénelon).

    Remarque 2 : Donner pouvant aussi se construire avec la préposition à (un livre m'a été donné à traduire pour « j'ai eu la consigne de traduire un livre »), quelques cas de télescopage avec la forme passive impersonnelle sont à déplorer, jusque chez de bons écrivains : « Un des livres les plus difficiles qu'il m'ait été donné à traduire » (Blaise Cendrars). Mais on écrira correctement : C'est le premier cas de cette espèce qui m'ait été donné à traiter.

    Remarque 3 : On notera l'invariabilité du participe passé donné dans l'emploi impersonnel. Par ailleurs, après un superlatif relatif (le plus, le moins...), le verbe de la proposition relative se met généralement au subjonctif (« pour atténuer le sens trop nettement absolu de cette expression », selon Thomas), même si l'indicatif reste possible (si l'on veut présenter le fait comme incontestable).


    Voir également le billet Ce qui / Ce qu'il.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est probablement le plus beau livre qu'il m'ait été donné de lire.

     


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  • S.O.S. langue battue

    « Ils sont décidément indissociables  : François Hollande et Nicolas Sarkozy. Même génération, même statut, même dilemme  : se représenter en 2017 parce que, au fond, ils se croient les meilleurs, ou renoncer parce que le pays les bat froid. »
    (Françoise Fressoz, sur lemonde.fr, le 28 avril 2016) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Il n'aura échappé à personne que froid se dit figurément d'une personne qui ne s'émeut guère, qui manque de sensibilité (un homme froid, d'un tempérament froid, au caractère froid) et, par extension, d'une attitude qui marque de la réserve et de l'indifférence, qui manque de cordialité (un accueil, un ton froid). C'est avec ce sémantisme que le mot est entré dans des locutions comme laisser quelqu'un froid, ne faire ni chaud ni froid à quelqu'un et... battre froid à quelqu'un.

    L'origine de cette dernière expression − dont le sens (« se montrer volontairement peu aimable, distant avec quelqu'un ; lui manifester de la froideur ») et la syntaxe ne laissent pas d'intriguer − est d'autant plus difficile à préciser que l'on se heurte à la polysémie du verbe employé.

    Battre doit-il s'entendre au sens, fût-il ici figuré, de « frapper (quelqu'un) de coups répétés » ? C'est à l'évidence ce dont sont persuadés ceux, nombreux, qui, à l'instar de notre journaliste, n'hésitent pas à écrire battre froid quelqu'un (sans préposition) pour « le battre froidement », autrement dit « le traiter avec froideur », « le snober » (ce qui, vous en conviendrez, porte toujours un coup à l'ego de l'intéressé). D'aucuns feront tout aussi froidement observer que la confusion entre les deux constructions est surtout entretenue par le fait qu'aux première et deuxième personnes le pronom a la même forme pour le complément d'objet, qu'il soit direct ou indirect : il me bat froid, il te bat froid, il nous bat froid, il vous bat froid, mais il lui bat froid, il leur bat froid (et non il le bat froid, il les bat froid).

    Battre ne doit-il pas plutôt être pris au sens général de « faire », ainsi que le laisse entendre un Furetière qui notait dès 1690 dans son fameux Dictionnaire universel : « On dit en ce sens battre froid, faire froid à quelqu'un pour dire, lui faire un mauvais accueil, lui témoigner peu de chaleur à le servir, peu de satisfaction de le voir » ? (1) Le Dictionnaire historique de la langue française ne dit pas autre chose à l'entrée « froid » : « Battre froid à quelqu'un (1690), anciennement faire froide mine à quelqu'un. »

    Autre piste chaude : battre froid, nous apprend le Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle d'Edmond Huguet, s'est employé absolument au sens de « être d'une nature froide » − par opposition à battre chaud, « être d'une nature ardente » − puis, dixit l'Académie, de « recevoir quelque communication d'une manière qui montre qu'on n'est pas disposé à l'accueillir » (2). De là découlerait, à en croire Marc Fumaroli, « l'expression battre froid à quelqu'un, au sens de lui refuser "froidement" toute marque de sympathie, et même de courtoisie ». Est-ce à dire que le verbe battre fait ici écho aux battements du cœur et que la température relevée serait celle d'un sang volontiers qualifié de chaud ou de froid selon le degré de convivialité attendu ? Voire.

    Car enfin, que nous dit Littré ? « Fig. Battre froid à quelqu'un, le traiter avec froideur. Locution prise du forgeron qui bat un fer à froid. » Grande est assurément la tentation d'analyser notre expression à l'aune de sa proverbiale cousine Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que le Dictionnaire historique de la langue française souffle le chaud et le froid en écrivant, à l'entrée « battre » cette fois : « Frapper sur un métal en forgeant, emploi dont viennent les locutions figurées battre le fer tant qu'il est chaud et battre froid à quelqu'un "lui témoigner de la froideur", pour battre le fer à froid. » Et de fait, les tours battre froid fer, puis battre (le fer) à froid − proprement « travailler le fer sur l'enclume sans le chauffer » − sont attestés par plusieurs sources au sens figuré de « faire une chose tout de travers, et se donner plus de peine qu'il ne faut » (François-Henri-Stanislas de L'Aulnaye), « faire des efforts sans succès » (Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle d'Edmond Huguet), « entreprendre une action difficile, impossible, vouée à l'échec » (Dictionnaire du moyen français), « tenter une entreprise difficile, impossible » (Grand Larousse universel(3). Seulement voilà : Littré et consorts se sont bien gardés de nous expliquer comment la langue serait passée, tambour battant, de battre à froid à battre froid à quelqu'un, d'une part, et de « perdre son temps en vains efforts » à « faire mauvais accueil à quelqu'un », d'autre part. Léon Clédat, connu pour savoir garder la tête froide, tente de réparer cet « oubli » : « A-t-on pu dire aussi "battre à froid" ou "battre froid" au sens de "n'être pas pressé", d'où "montrer peu d'empressement", ce qui expliquerait la signification de battre froid à quelqu'un ? C'est possible, mais douteux. » (4)

    Vous l'aurez compris : rien, à ma connaissance, ne permet d'affirmer que la locution battre froid à quelqu'un a été forgée entre le marteau et l'enclume. Le seul point sur lequel les spécialistes de la langue sont unanimes, c'est que le verbe se construit ici indirectement (5) : « Il battit froid aux autres » (Alain-René Lesage), « Ce directeur, qui rencontra M. de Rênal dans le monde, lui battit froid » (Stendhal), « Mais la favorite lui avait battu froid aussi, et, comme Montmorency se plaignait de cet accueil [...] » (Alexandre Dumas), « Certains convives, qui avaient des relations de clientèle avec les parents des jeunes gentilshommes, n'osaient pas trop leur battre froid, et se trouvaient fort mal à l'aise » (George Sand), « Elle avait battu froid à Annette » (Romain Rolland), « Le mondain à qui on bat froid » (Marcel Proust), « Fernande trouve que tout le monde lui bat froid » (Colette), « Aussi bien Édouard n'a jamais rien fait pour s'attirer les bonnes grâces des critiques. Si ceux-ci lui battent froid, peu lui importe » (André Gide), « Le premier l'accueille avec bonhomie, mais le second lui bat froid » (Henri Troyat), « Les amis de sa secte [...] depuis lui battent froid » (Daniel Boulanger).

    Morale de l'histoire : il faut toujours se méfier des expressions pittoresques et un rien surannées qui, mal maîtrisées ou employées à mauvais escient, ont tôt fait de conduire l'imprudent... à de froides déconvenues.

    (1) « J'ai [...] peine à comprendre que, quand on aime une personne et qu'on la regrette, il faille, à cause de cela, lui faire froid au dernier point, les dernières fois que l'on la voit » (Mme de Sévigné), « Pourquoi me faire froid et vous plaindre [...] ? » (La Bruyère).

    (2) « M. Dandelot [...] estoit très vaillant et haut à la main, encor qu'il battist froid, et ne disoit mot de ce qu'il voyoit là faire à M. de Martigues, qui estoit fougueux et battoit chaud » (Pierre de Bourdeille, dit Brantôme), puis « Je me contentai de battre froid, de supprimer l'accueil et les remerciements que je lui avais faits » (Marivaux), « Harcourt, qui se défiait toujours de la sœur de l'impératrice, battit froid » (Saint-Simon).

    (3) « Et trop froit fer certes batez » (Gautier de Coinci), « Las ! comme frois fiers est que je bat ! » (Baudouin de Condé), « Tu bas froit fer, tu es deçus » (Eustache Deschamps), « Estonné, tu bas froit fer. Tu es maintenant fort eschauffé sans feu de charbon ! » (Le Roman de Perceforest), « C'est froit fer, on ne le poeult batre » (Jean Molinet), « Lire et non comprendre ce qu'on lit, est battre l'eau ou froit fer » (L'Histoire de la Toison d'or, citée par Littré), « [L'adolescent Gargantua] battoyt a froid, songeoyt creux » (François Rabelais), « Il estoit tout plein amoureux d'elle ; mais il battoit à froid, car la dame eut mieulx aymé estre morte que de faire ung vilain tour » (Nicolas de Troyes), « Elles essayaient, par tous les moyens possibles, de le détourner d'une si mauvaise pensée ; mais elles ne faisaient que prêcher dans le désert, et battre le fer à froid » (Louis Viardot, traduisant Cervantes), « C'est une affaire que vous battez à froid, qui n'aboutira jamais » (Grand Larousse universel).
    Il n'empêche, j'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi travailler le fer sans le chauffer reviendrait forcément à « faire une chose hors de propos », ainsi que l'écrit Henri Clouzot. Car enfin, sur ce point, les avis divergent : « Les meilleurs fers peuvent devenir très fragiles et plus aigres que l'acier trempé par le seul fait du martelage à froid » (Cours de machines à vapeur à l'usage des mécaniciens de la marine, 1861) mais « Écrouir. C'est battre le fer à froid sur l'enclume pour le condenser et le rendre plus dur » (Vocabulaire des arts et métiers, 1814). Et c'est bien avec l'idée de dureté que ladite expression se trouve employée, au figuré, dans cet extrait daté de 1757 du Journal encyclopédique : « Un périodiste de Paris, qui bat à froid toutes ses critiques. »

    (4) Il me faut ajouter ici que le Dictionnaire du moyen français mentionne la variante battre froid fer en quelqu'un avec le sens de « perdre sa peine, son énergie auprès de quelqu'un ; agir, intervenir en vain auprès de lui » : « Et faisoit ses doleances et complaintes les plus piteuses du monde et les mieulx colorees, et tellement que ledit messire Guillaume et les aultres perceurent bien qu'on batoit froit fer en luy » (Georges Chastelain, 1456). Voilà qui est déjà plus proche de la syntaxe de notre expression.

    (5) L'honnêteté m'oblige toutefois à préciser que, pour ne rien simplifier, la construction directe battre quelqu'un froid est attestée (vers 1445) dans le Dictionnaire du moyen français au sens de « le traiter froidement ».
     

    Remarque 1 : Autres pays, autres coutumes, nos voisins anglais et allemands préfèrent, quant à eux, présenter leur épaule froide : to give someone the cold shoulder, jemandem die kalte Schulter zeigen. Ne me demandez pas pourquoi : cela risquerait de jeter un froid.

    Remarque 2 : Le Dictionnaire de l'Académie et le Grand Larousse flairent dans le froid de battre froid à quelqu'un un emploi adverbial.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le pays leur bat froid.

     


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  • « Avec les anciennes, nous pouvons être fières de cette médaille. Ce succès, nous ne le devons qu’à nous-mêmes et à personne d’autres » (propos d'Allison Pineau, membre de l'équipe de France féminine de handball, qui a remporté l'argent aux Jeux olympiques de Rio derrière la Russie).
    (Cédric Callier, sur lefigaro.fr, le 21 août 2016) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Déception ? Précipitation ? Notre journaliste sportif s'est visiblement pris les pieds dans le filet de la langue. Saisissons donc le ballon au bond pour rappeler ici que d'autre s'écrit logiquement avec l'épithète autre au singulier après personne, quelqu'un, quelque chose, grand-chose, rien et les interrogatifs que, qui, quoi : « Personne d'autre. Que voulez-vous d'autre ? Qui d'autre cherchez-vous ? À quoi d'autre pensez-vous ? » (Hanse) et avec autre au pluriel chaque fois qu'un nom pluriel (personnes, choses, etc.) est sous-entendu : « Un exemple parmi d'autres, parmi tant d'autres », « Les manuscrits de Balzac, de Proust, de Tolstoï et de bien d'autres comportent en marge des repentirs et des rajouts », « Produire une œuvre artistique ou intellectuelle qui, le plus souvent, fait suite à beaucoup d'autres » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    La faute, hélas ! se répand comme une traînée de poudre dans les rangs de la délégation russe, nous assurent les esprits revanchards. Quelques exemples parmi d'autres : « [Ils] ne représentent personne d'autres qu'eux-mêmes » (France Inter), « [Il] assure n'avoir parlé ni à Trump ni à personne d'autres » (TF1), « Les joueurs sélectionnés ne représentent personne d'autres qu'une caste d'élites » (Huffington Post), « Il n'y a personne d'autres dans les locaux » (Le Figaro), « Personne d'autres n'était là pour récupérer la marchandise » (Marianne), « Il n'y a personne d'autres » (L'Express). Pas de quoi en venir aux mains pour autant : la langue et le sport en ont vu bien d'autres !

    Remarque : Les formes personne autre, rien autre (construites sans la préposition de sur le modèle de aucun autre, nul autre) se rencontrent encore dans la langue littéraire : « Elle n'aimait personne autre » (Romain Rolland), « Il n'a trouvé rien autre » (André Malraux).


    Voir également le billet Rien d'autre(s).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ce succès, nous ne le devons qu'à nous-mêmes et à personne d’autre.

     


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  • « Merci, Olympiens ! »
    (vu sur Facebook, le 21 août 2016) 

     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Et une médaille d'or, une ! Je veux parler de celle que les spécialistes de la langue ne manqueront pas de décerner à Facebook pour ce bel exemple de confusion paronymique. Car enfin, nom de Zeus, est-il encore besoin de rappeler qu'olympien est un adjectif qui signifie proprement « relatif à l'Olympe ; qui habite l'Olympe », à savoir le massif montagneux de Thessalie où les Anciens avaient placé le séjour des dieux ? On parle ainsi, dans la mythologie grecque, des dieux olympiens ou, substantivement, des Olympiens pour désigner les douze principales divinités : « Les dieux olympiens à la face sereine » (Victor Hugo), « Une béatitude que j'imagine devoir être celle des Olympiens assemblés » (Charles Du Bos). Rien à voir, vous l'aurez compris, avec l'adjectif olympique, qui s'emploie quant à lui au sens de « relatif à la ville d'Olympie », située dans le Péloponnèse cette fois, et aux jeux qui y étaient célébrés tous les quatre ans, dans l'Antiquité. Comparez : les divinités olympiennes mais les Jeux olympiques.

    La question que soulève, par ricochet, le message publié sur Facebook est la suivante : est-on davantage fondé à utiliser l'adjectif olympique comme substantif pour désigner un athlète qui a remporté une victoire audits Jeux ? Rien n'est moins sûr. Selon Littré, réputé pour son flegme olympien, c'est olympionique (ou olympionice, ajoute le TLFi) qui s'impose à propos d'un vainqueur aux jeux antiques : « Les olympioniques étaient couronnés d'olivier sauvage » (André Chénier), « Vive l'olympionice ! » (Ernest Renan). Pour ce qui est des jeux modernes, mieux vaut encore s'en tenir à champion olympique. Que voulez-vous, la prudence est d'or !

    Voir également le billet L'Olympe olympique.

    Remarque 1 : La confusion ne date pas d'hier : Ronsard n'évoque-t-il pas dans Le Second Livre des Amours (1556) les « jeux Olympiens », quand Jean Lemaire de Belges (vers 1505) parle d'« Hercules de Thebes, qui premier establist les ieux Olympiques, sur le mont Olympus en Macedone » ? De nos jours, elle est entretenue par quelques dictionnaires en ligne : « Olympien, nom commun. Athlète qui participe aux jeux Olympiques » (Wiktionnaire), « Olympien. Athlète olympique » (banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada).

    Remarque 2 : Olympien ayant pris au XIXe siècle la valeur figurée de « noble, majestueux et serein » (un air, un calme olympien), le mot s'est employé à propos d'artistes ou de penseurs qui manifestent mesure et sérénité : « Cet équilibre, les frères de Goncourt l'ont toujours haï ; de ce point de vue là, ils peuvent être considérés comme le type des artistes opposés à Goethe, à Victor Hugo, à tous les olympiens » (Paul Bourget).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Merci aux champions olympiques.

     


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