• « Viaduc de Millau: un automobiliste oublie sa femme sur l'aire d'autoroute. [...] On peut imaginer sans peine la scène de ménage qui a eu lieu entre les deux amoureux au moment de leur retrouvaille. »
    (paru sur francesoir.fr, le 19 juillet 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Quand il prêterait à sourire, ledit fait divers n'en soulève pas moins une question de langue digne d'intérêt : doit-on écrire retrouvaille au singulier ou au pluriel ? « Toujours au pluriel », répondent en chœur Girodet, Bescherelle et le Larousse en ligne, sans plus d'argument. Regardons-y de plus près.

    Contrairement à ce qu'avancent plusieurs ouvrages de référence (Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire étymologique et historique de von Wartburg, Grand Larousse et TLFi), retrouvaille ne date pas de 1782 ; on le trouve dès 1695 − au singulier comme au pluriel, n'en déplaise à Girodet − dans une comédie de Jean-François Regnard intitulée La Foire Saint-Germain  : « Payez moy toujours la retrouvaille [d'une certaine Angélique], et après nous ferons marche pour la reperdaille », « C'est pour vous dire comme j'ai la main heureuse pour les retrouvailles ». Le mot fait partie de ces suffixés en -aille (avec bleusaille, boustifaille, cochonnaille, mangeaille, maraudaille, marmaille, etc.) que la langue familière aime façonner pour marquer le dédain ou l'ironie.

    Dans ce sens de « action, fait de retrouver quelqu'un ou quelque chose (qui était perdu, qui avait disparu, qui s'était échappé) », retrouvaille est aujourd'hui donné pour « vieux » (TLFi), « rare » (Grand Larousse) ou... « littéraire » (Dictionnaire historique de la langue française) ! Il n'a pour autant jamais cessé d'être employé depuis la fin du XVIIe siècle : « favoriser la retrouvaille des épagneuls, des perroquets, des manchons et des cannes perdues » (Louis-Sébastien Mercier, cité dans le Complément du Dictionnaire de l'Académie française publié en 1842), « Ç’a été pour la nature une retrouvaille et pour le reste une trouvaille » (Gustave Flaubert), « la retrouvaille de tout ce qui avait été jeté dans la rue » (les frères Goncourt), « Mais presque chaque jour l'on nous fait part de nouvelles retrouvailles de soldats depuis longtemps perdus » (André Gide), « Il y a encore un point intéressant, dans cette affaire de la découverte ou plutôt de la retrouvaille des [toiles des frères] Le Nain » (Émile Henriot), « en partant à la retrouvaille de ce passé » (Éric Ollivier), « la sélection ordonnée des "lieux communs" permettant une retrouvaille immédiate » (Alain Rey), « la retrouvaille de la clef usb me requinqu[a] » (Gabriel Matzneff), « Je choisissais toujours le même banc, comme si cette retrouvaille avec la même perspective du lac [...] pouvait servir de remède à ma fragilité » (Philippe Labro).

    Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que le mot prit son sens moderne de « fait de se revoir, d'être de nouveau en présence l'un de l'autre (en parlant de personnes), après une séparation ou une absence ». Mais il serait faux de croire, là encore, que le pluriel s'est tout de suite imposé dans cette acception. Jugez-en plutôt : « Les retrouvailles bizarres de la vie » à côté de « la retrouvaille de deux hommes séparés par vingt-cinq ans d'existences » (les frères Goncourt) ; « Et après une longue séparation la joie de ces retrouvailles inopinées ! » à côté de « Les circonstances ont permis qu'entre les deux partenaires de Partage de Midi, une "retrouvaille", on peut dire, ait eu lieu, une rencontre, une explication » (Paul Claudel) ; « Retrouvailles : "Comment vas-tu, mon vieux ?" » à côté de « La joie d'une retrouvaille après une si longue absence » (André Gide) ; « Vous connaîtrai-je, édifiantes retrouvailles » à côté de « C'était la ville antique et la ville d'amour, pleine de renfoncements secrets pour l'attente et la retrouvaille » (Henry de Montherlant). Autant dire, dans ces conditions, que la distinction entre les deux acceptions, « ancienne » et « moderne », est parfois difficile à établir. D'aucuns veulent se persuader que retrouvaille insiste sur l'action quand retrouvailles s'en tiendrait au résultat ; d'autres sont convaincus que le pluriel ne peut s'envisager qu'à propos des personnes quand le singulier serait réservé aux choses. Force est de constater que les rôles entre les deux formes ne sont pas aussi nettement répartis dans les exemples précédemment cités.

    « Retrouvailles, victuailles, épousailles, [...] pourquoi un pluriel à ces mots criards ? », s'interroge à bon droit l'écrivain suisse Daniel de Roulet. Sans doute le s final s'y est-il attaché sous l'influence du suffixe latin -alia qui servait à former des noms collectifs désignant, en particulier, des cérémonies de caractère familial ou religieux : funeralia (« choses concernant les funérailles »), sponsalia (« fiançailles, repas de noces ») comme victualia (« vivres, aliments »), genitalia (« parties sexuelles »), etc. (1) Il n'empêche, j'avoue avoir bien du mal, pour en revenir à l'affaire qui nous occupe, à reprocher à notre journaliste cette marque du pluriel oubliée sur une aire de notre lexique...

    (1) Les linguistes Arsène Darmesteter et Léopold Sudre précisent ainsi dans leur Cours de grammaire historique de la langue française (1895) : « Il faut mettre à part les mots en -ailles où il semble que l'idée de pluriel contenue dans le type latin intralia funeralia a introduit le pluriel dans la forme : accordailles, entrailles, épousailles, fiançailles, funérailles, etc. Il faut noter toutefois que, conformément à la règle phonétique, ces mots en ancien français, n'ont pas l': broussaille, entraille, funéraille. »

    Remarque : À titre indicatif, je signale avoir trouvé dans Google Livres quinze occurrences de « retrouvaille avec soi » (dont une sous la plume de Péguy et une sous la plume de Cioran) contre vingt et une de « retrouvailles avec soi ». Si tant est que cette statistique soit susceptible de généralisation, elle confirme que la forme au singulier, bien que moins fréquente que celle au pluriel, est toujours vivace malgré les mises en garde de certains grammairiens.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Au moment de leurs retrouvailles (selon les dictionnaires usuels).

     


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  • Dans l'intimité d'un team

    « La team Arrow s'est prêtée au jeu des séances photos pour notre plus grand plaisir » (à propos de la série télévisée américaine diffusée sur TF1).
    (Camille Caylou, sur tf1.fr, le 25 juillet 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Premier constat : rares sont les dictionnaires usuels à avoir accueilli l'anglicisme team. L'intéressé est ainsi aux abonnés absents dans mon Petit Larousse illustré 2005, dans mon Robert illustré 2013, dans le Trésor de la langue française et, vous vous en doutez, dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie. Rien que de très rassurant, me direz-vous, tant les équivalents français équipe ou, selon le contexte, écurie, groupe, bande, camp, corps, etc. nous tendent les bras.

    Second constat : les dictionnaires qui ont daigné lui ouvrir leurs colonnes − je pense notamment au Grand Larousse de la langue française, au Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d'Alain Rey, au Dictionnaire de l'orthographe d'André Jouette, au Dictionnaire des pièges et difficultés de la langue française de Jean Girodet et au Dictionnaire étymologique des anglicismes et des américanismes de Jean-Paul Kurtz − le font tous du masculin (en tant que genre indifférencié, à valeur générique ?), à l'instar de ces exemples trouvés sous des plumes avisées : « [le] meilleur footballeur d'un team » (Jean Giraudoux), « le meilleur avant du team de football de la brigade » (André Maurois), « L'homme de la rue [...] fait partie d'un ensemble bien ordonné et se tient à sa place dans le team » (Blaise Cendrars), « Le tournoi de hockey sur glace avait été gagné par le team des étudiants anglais» (Joseph Peyré), « allons, ce n'est pas un team [de football] comme ça qui soutiendra l'honneur du G.S.D. ! » (Louis Aragon), « Quoiqu'elle n'appartînt à aucun "team (équipe) de chercheurs" ni n'éprouvât le moindre intérêt pour la "recherche" » (Jean Dutourd), « Le team de Médoc fit son entrée avec lenteur sur le terrain » (René Fallet), « Si tu veux, tu peux intégrer mon team » (Abdou Diouf), « cela parut comme une évidence à Tadic et à son équipe (son team, comme disait Svetlana) » (Patrick Besson), « Alors, vous allez former un team, à ce qu'il paraît ? » (Annick Geille). (1)

    Alors, masculin, le nom team ? Regardons-y de plus près.

    D'après mes recherches, la première attestation du mot dans notre lexique nous vient tout droit du Canada. Je l'ai trouvée dans un texte de Félix Foucou, intitulé Le pétrole et les hommes d'huile de l'Amérique du Nord et paru en 1869 dans la Revue des Deux Mondes : « Les traverses de bois, secouées nuit et jour par le passage des teams chargés de baril d'huile, n'étaient nulle part de niveau », avec cette note en bas de page : « Le team est un char traîné par des bœufs ou des chevaux. Lorsqu'il est destiné à traverser des ravins et des forêts, il n'a pas de roues. » Et de fait, le vieil anglais team − probablement apparenté au latin ducere (« mener, conduire ») par l'intermédiaire des verbes anglo-saxons togian, teon (« tirer »), selon Friedrich Max Müller et Jean-Paul Kurtz − désigne proprement un attelage d'animaux. Si tout porte à croire que le mot est d'abord passé en français au masculin, sous ces latitudes, il a fini par s'envisager également au féminin. Jugez-en plutôt : « Il avait traversé toute l'Amérique du Nord avec son team, son train de bœufs » (Édouard Gros, 1870 ?), « les chevaux du demandeur formaient un bon "team" » (La Revue légale, 1880), « un team de chevaux » (Albertine Hallé, 1948 ; Jean Féron, 1986 ; Clément Legaré, 1990), mais « Une team de jwo (paire de chevaux) » (Alfred de Celles, linguiste québécois, en 1927), « une team de bœufs » (Régis Brun, 1974), « une team de chevaux » (Jacques Lamarche, 1973 ; Jean-Paul Filion, 1977 ; Thérèse Lafontaine Cossette, 1983). La même évolution de genre s'est produite à propos des attelages de chiens : « Il put acheter un team de six chiens » (Louis-Frédéric Rouquette, 1921), « J'ai trois chiots. [...] L'aîné s'appellera Itlouwinâk [...], en souvenir du chef de mon team qui mourut glorieusement pendant notre traversée de l'Inlandsis » (Paul-Émile Victor, 1938), puis « Team : substantif féminin, sept ou huit chiens attelés à un traineau » (Gilles Landris, 1980), « Ils possèdent à eux quatre une team de douze chiens » (Stéphane Dugast et Daphné Victor, 2015).

    L'anglais team est aussi et surtout employé comme terme de sport pour désigner une équipe de joueurs. Il fut emprunté dès la fin du XIXe siècle par des auteurs de langue française s'intéressant au mode de vie anglais ou américain et par des journalistes sportifs :  « Dans les collèges, à Harvard, à Yale, on attache une importance de premier ordre à posséder un excellent team de base ball » (Paul de Rousiers, 1892), « Les champions [de foot-ball] du collège de Harvard − le team, comme on dit ici » (Paul Bourget, 1895), « Car le prince, un des cracks du team de Bagatelle, est venu en costume de polo » (revue La Vie parisienne, 1896). Là encore, quel que soit le sport considéré, le mot s'est d'abord invité au masculin : automobile, « un de nos amis et confrères, qui parcourt en ce moment l'Amérique avec un team de coureurs » (La Vie scientifique, 1894) ; cyclisme, « Le team des coureurs » (La Bicyclette, 1895), « Les Américains, Kiser, Murphy et Wheeler, appelés le team jaune à cause de la couleur de leurs machines et de leurs maillots » (La Nouvelle Revue, 1896) ; cricket, « les onze célébrités du cricket-team de l'école » (Revue de l'instruction publique en Belgique, 1895) ; football, « Un team de Londres a bien passé le détroit et joué au Bois de Boulogne contre l'Olympique » (La Nouvelle Revue, 1897), « Le team du collège, qui représente la maison et lutte pour ses couleurs dans les matches publics de football, de hockey et de cricket » (Revue catholique des Églises, 1905) ; rugby, « l'essai marqué pour la première fois par les nôtres contre un team anglais de valeur » (La Nouvelle Revue, 1897), « Ce match opposait, dimanche dernier, l'équipe du Stade français au team anglais des Old Deustonians » (Jules de Cuverville, 1904) ; culture physique, « nous connaissons des athlètes, des plus qualifiés, qui ont été exclus d'un team, pour avoir été surpris en train de [...] » (Albert Surier, 1905) ; natation, « Le team bruxellois » (L'Expansion belge, 1910) ; boxe, « un team de boxeurs » (Revue de l'Amérique latine, 1926) ; etc. Mais voilà que, dans cette acception comme dans la précédente, l'emploi de team au masculin se voit de nos jours nettement concurrencé par celui au féminin. Selon l'Académie, la participation aux Jeux olympiques de 1992 de l'équipe nationale de basket-ball des États-Unis ne serait pas étrangère à ce phénomène : « En 1992, les États-Unis décident d’envoyer aux Jeux olympiques une équipe de basket-ball composée, non plus d’universitaires amateurs, mais des meilleurs professionnels. Outre-Atlantique, cette équipe est baptisée dream team, "l’équipe de rêve". Cette appellation fera florès, aidée par la victoire de cette équipe aux Jeux de Barcelone et portée par l’assonance qu’elle contient, à tel point que, quelques années plus tard, la presse s’en emparera pour désigner le gouvernement français alors dirigé par Lionel Jospin. » De là à en déduire que la tentation de donner à team le genre de sa traduction française est plus grande depuis ledit évènement sportif, il n'y a qu'une passe que le Team, pardon le Service du Dictionnaire de l'Académie n'hésite pas à franchir, « surtout quand [ce nom] est précédé de dream ».

    Oserai-je l'avouer ? J'ai du mal à comprendre en quoi l'attelage avec le mot dream, dont l'équivalent français (« rêve ») est masculin, a pu favoriser la féminisation de team. Quant à l'influence du genre du nom français correspondant (une team parce que une équipe), l'argument ne me paraît guère satisfaisant : d'une part, il n'explique pas à lui seul le recours au féminin dans l'emploi de team au sens d'« attelage » (2) ; d'autre part, le mot week-end, à cette aune-là, serait définitivement du beau sexe (week = semaine et end = fin, tous deux féminins). Toujours est-il que le genre grammatical de team, fort bien fixé au masculin lors son introduction dans notre lexique, a fini par devenir instable : « On dit indifféremment "le team" ou "la team" », note Alexandre des Isnards dans son Dictionnaire du nouveau français (2014). Les uns feront observer que les caprices de l'usage sont infinis ; les autres, qu'il est grand temps, dans cette affaire, d'arrêter de recourir à un anglicisme (par snobisme ? par souci de modernité ? par besoin de se donner un air d'appartenance ? par esprit moutonnier ?) quand son équivalent français le remplace à merveille. Car enfin, serons-nous mieux informés le jour où le journal L'Équipe sera rebaptisé Le Team (ou La Team) ?

    (1) On notera que, dans certaines de ces phrases, le mot team est écrit en italique ou entre guillemets (parfois les deux en même temps) pour signifier qu'il s'agit d'un emprunt encore non lexicalisé.

    (2) Ne serait-ce pas plutôt l'emploi au féminin de team dans son acception sportive qui a fini par influencer le genre de team dans son acception première ? La chronologie des attestations ne me permet pas de le confirmer.

    Remarque 1 : Selon l'Académie, les noms étrangers reçoivent en français un genre grammatical influencé, pour les êtres animés, par le sexe (la nurse, le clown) et, pour les autres mots, par la forme (par exemple, une terminaison proche des finales caractéristiques d'un genre grammatical français), par le sens (une guest star) ou par le fait que le masculin est le genre indifférencié (le jogging). La majorité des anglicismes seraient, toutefois, masculins.

    Remarque 2 : « Team est vieilli », écrivait Dupré en 1972 ; vingt ans plus tard, le mot fut, hélas ! remis à la mode − et pas seulement sur le terrain du sport, comme veut le croire le Dictionnaire historique de la langue française ! Il se rencontre désormais dans tous les domaines et en particulier dans le monde du travail où il désigne un groupe de personnes, dotées d'un véritable « esprit d'équipe » (ou team spirit, en français dans le texte), qui œuvrent dans la même entreprise ou dans le même service pour atteindre l'objectif assigné à un projet.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le team Arrow s'est prêté au jeu des séances photos (ou mieux : L'équipe de la série Arrow).

     


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  • « Un camion a foncé sur la foule massée sur la Promenade des Anglais pour le feu d'artifice, ce jeudi, peu après 22h30. »
    (paru sur nicematin.com, le 14 juillet 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Tâchons d'oublier un instant, si tant est que cela soit possible, l'horreur du 14 Juillet niçois pour nous intéresser à la seule question qui vaille dans le cadre d'une chronique de langue : le mot promenade prend-il la majuscule quand, associé au complément des Anglais, il désigne le front de mer de Nice ? Il n'est probablement pas de rédaction où l'on ne se soit penché sur la difficulté... sans toujours parvenir à la trancher. Jugez-en plutôt : « Des Niçois se recueillent sur la promenade des Anglais » mais « Mouvement de panique sur la Promenade des Anglais » (Le Point) ; « la promenade des Anglais pleure ses morts » mais « le symbole de la Promenade des Anglais frappé » (Le Figaro) ; « La promenade des Anglais, fermée depuis l'attaque de Nice » mais « Résumé d'une soirée d'horreur sur la Promenade des Anglais » (Libération) ; « la promenade des Anglais a été fermée » mais « le camion blanc a foncé dans la foule sur la Promenade des Anglais » (L'Express), « Comment un camion de 19 tonnes a-t-il pu se retrouver sur la promenade des Anglais ce soir-là ? » mais « Nice et sa fameuse Promenade des Anglais » (Marianne), etc.

    Aucune aide à attendre de la part du Petit Robert, qui nous balade de « La Promenade des Anglais, en bordure de mer » (à l'entrée « Nice ») à « La promenade des Anglais, à Nice » (à l'entrée « promenade »). De leurs côtés, Larousse et le TLFi (« les corsos fleuris de la Promenade des Anglais à Nice », à l'entrée « corso ») semblent s'en tenir à la majuscule, quand la minuscule a la préférence de l'Académie (« La promenade des Anglais, à Nice », lit-on dans la dernière édition de son Dictionnaire), d'Alain Rey (« Une exigence d'Europe sociale sur la promenade des Anglais ») et de Jean-Pierre Colignon (« La belle ville de Nice est mondialement connue, notamment pour son carnaval et par la promenade des Anglais »).

    Aussi ne s'étonnera-t-on pas de relever les fluctuations de l'usage jusque chez nos écrivains : « tu ne peux pas apprécier ce que c'est que la promenade des Anglais » (Alphonse Karr), « à l'extrémité de la promenade des Anglais » (Maurice Leblanc), « Les hôtels somptueux au long de la promenade des Anglais» (Gaston Leroux), « on passait l'hiver sur la promenade des Anglais » (Marcel Proust), « Cette guirlande de flamme vive, là-bas, c'est la promenade des Anglais » (Colette), « sur la promenade des Anglais, à Nice » (Blaise Cendrars), « l’électrification des grands hôtels de la promenade des Anglais » (Alain Decaux), « Un de mes arrière-grands-pères était l'heureux propriétaire de quatre villas sur l'actuelle promenade des Anglais à Nice » (Jean d'Ormesson), mais « les palmiers de la Promenade des Anglais » (Francis Carco), « Je veux dire parmi les fleurs de la Promenade des Anglais ! » (André Pézard), « et la Promenade des Anglais ! » (Louis-Ferdinand Céline), « Et prend la Promenade des Anglais » (Louis Aragon), « ils ont marché longuement sur la Promenade des Anglais » (Jean Dutourd), « le long de la Promenade des Anglais » (Max Gallo), « défiler sur la Promenade des Anglais » (Patrick Modiano), « sur la Promenade des Anglais » (Véronique Olmi). Certaines plumes sont même prises en flagrant délit d'inconséquence : « Il déambulait longuement sur la promenade des Anglais » mais « Quelques estivants débouchaient sur la Promenade des Planches » (Henri Troyat, cité par Grevisse) ; « Sur la promenade des Anglais, une douzaine de Sonia Marmeladov tapinent de 23 heures à 5 heures du matin » mais «  le ciel clair au-dessus de la Promenade des Anglais » (Patrick Besson).

    La règle paraît pourtant claire : les noms communs (avenue, boulevard, chemin, côte, impasse, place, promenade, quai, route, rue, tunnel, etc.) entrant dans la désignation des voies de circulation gardent leur minuscule initiale et sont suivis d'un élément spécifique (qu'il s'agisse d'un nom propre, d'un nom commun ou d'un adjectif) qui prend la majuscule. Partant, on écrira correctement : la promenade des Tuileries (à Paris), la promenade des Lices (à Rabastens), la promenade du Peyrou (à Montpellier), la promenade des Barques (à Narbonne)... et la promenade des Anglais. Las ! la majusculite (ou abus de majuscules) étant une pratique répandue de longue date, les exceptions ne manquent pas : la Côte d'Azur ; le Pont-Neuf, le Quartier latin, les Grands Boulevards (à Paris), etc. De là à conclure que nos conventions orthotypograhiques sont en train de filer à l'anglaise...

    Remarque 1 : La tentation de la majuscule, dans notre affaire, peut-elle s'expliquer par le souci de distinguer le lieu où l'on se promène de l'action de se promener ?

    Remarque 2 : D'après le site Internet de la ville de Nice, le révérend Lewis Way lança en 1822 une souscription auprès de ses compatriotes, attirés par la réputation de douceur hivernale faite au climat niçois, pour financer l'aménagement d'une chaussée de deux mètres de large, du Paillon à l’actuelle rue Meyerbeer. Achevé en 1824, le modeste camin dei Inglés (ou « chemin des Anglais ») ne recevra officiellement le nom de promenade des Anglais qu'en 1844. Il faudra encore attendre près d'un siècle pour que la célèbre voie atteigne ses dimensions actuelles.

     

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    La foule massée sur la promenade des Anglais (selon l'Académie).

     


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  • « Hellfest 2016, l'antre du diable est ouverte » (à propos du "festival de musique métal extrême" à Clisson, en Loire-Atlantique).
    (Tanguy Pastureau, sur rtl.fr, le 18 juin 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Diable ! Voilà que notre animateur s'est trompé sur le genre du mot antre. C'est que celui-ci est du masculin, nous assurent les spécialistes de la langue, dans la mesure où il vient du neutre latin antrum (« grotte, caverne, creux »), lui-même emprunté du grec antron (« caverne, fosse ») (1) : « Antre obscur. Antre profond » (Académie), « un antre profond et ténébreux » (Jean Girodet), « un antre plein de bêtes dangereuses » (Jacques Capelovici).

    Influence des synonymes féminins caverne et grotte, des paronymes (féminins eux aussi) ancre et encre ou encore de la terminaison en e muet (2) : grande est assurément la tentation de faire d'antre un représentant du beau sexe. Pour preuve, ces exemples de féminisation abusive exhumés des profondeurs de la Toile : « [Louis] pénètre dans l'antre enfumée » (Gilbert Cesbron), « envier la taupe et son antre fraîche, anonyme et obscure » (Hortense Dufour), « Des êtres décharnés sortaient de leur bauge, de leurs antres obscures, des caves, des égouts » (Pascal Bruckner), « du fond de son antre obscure et calfeutrée » (Dominique Catteau), « l'antre obscure d'un philosophe, d'un ermite ou la grotte d'un ours » (Hervé Prudon), « De quelle source, de quelle antre, de quelle bouche obscure ? » (Marc Froment-Meurice). Rousseau lui-même se serait laissé aller à écrire, dans une traduction d'une ode latine : « Pendant que la triste paix entendoit du fond d'une antre obscure les tumultes furieux. »

    Gageons que les cavités buccales les plus perfides ne manqueront pas d'en faire des gorges chaudes. Et pourtant... Tout porte à croire, à y regarder de plus près, que le genre du mot antre n'était pas gravé dans la roche lorsqu'il fut introduit dans notre lexique (à la fin du XVe siècle, selon le TLFi). Jugez-en plutôt : « il fait une antre, c'est a dire une fosse » (Bernard de Gordon, dans une traduction datée de 1495 de sa Practica dicta Lilium medicine, citée par le Dictionnaire du moyen français), « creuse antre, épais halier » (Jean Vauquelin de la Fresnay, 1555), mais « en cest antre » (Octavien de Saint-Gelais traduisant Virgile, fin du XVsiècle), « le frais d'un antre » (Pierre de Ronsard, 1555), « Un antre tapissé de mousse et de verdure » (Joachim Du Bellay, 1558), « I'ay un bel antre creux entaillé dans la pierre » (Jean-Antoine de Baïf, 1573). Cette hésitation, du reste, n'est pas sans rappeler celle qui présida aux destinées d'autres noms avec une finale en e muet, tels que abîme, âge, alvéole, armistice, épisode, ordre, etc.

    Toujours est-il que les Immortels, du fond de leur antre préhisto..., pardon académique, tiennent l'intéressé pour masculin depuis 1694. Autant dire depuis l'ère de Cro-Magnon !

    (1) Gardons toutefois à l'esprit que, si la plupart des neutres latins sont en effet devenus masculins en français, quelques-uns sont passés à la concurrence, à commencer par les pluriels neutres dont la finale a été confondue avec celle du féminin singulier : grana (pluriel neutre de granum) > graine, mirabilia > merveille, volatilia > volaille, etc.

    (2) La terminaison en e muet, que d'aucuns perçoivent comme caractéristique du féminin, n'est pas un critère fiable − tant s'en faut − pour déterminer le genre d'un nom (ou d'un adjectif) en français. Selon le linguiste Michel Arrivé, « il y a à peu près autant de noms masculins que de noms féminins terminés par e "muet" (47 % de masculins, 53 % de féminins) ». Que l'on songe à abaque, corollaire, organe, père, programme, siège, texte, ventre, etc.

    Remarque : Selon Claude Brossette, l'un des fondateurs de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon (en 1700), « le mot antre donne souvent, parmi les Grecs et les Latins, une idée fort agréable ». Voilà qui tranche avec les définitions trouvées dans mon Petit Larousse illustré : « 1. Littéraire a. Excavation, grotte servant d'abri à un animal sauvage. b. Lieu mystérieux et inquiétant. » 

     

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    L'antre du diable est ouvert.

     


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  • « Le secrétaire d’État chargé des Sports Thierry Braillard se rappelle au bon souvenir des grincheux ayant poussé des cris d’orfraie face au maintien des rassemblements de supporteurs malgré la menace terroriste : "Ceux qui ont voulu polémiquer sur les fans zones se rendent compte que la ­prochaine fois, il leur faudra fermer leur caquet." »
    (Baptiste Desprez et Guillaume Loisy, sur lefigaro.fr, le 9 juillet 2016)   

     

    FlècheCe que j'en pense


    Loin de moi l'intention de clouer le bec à notre secrétaire d’État − voilà qui risquerait de faire jaser dans le landerneau politico-sportif −, mais j'en étais resté, pour ma part, à rabattre (ou, moins couramment, rabaisser) le caquet de quelqu'un.

    Déverbal de caqueter, lui-même dérivé du radical onomatopéique kak- reproduisant le piaillement de divers oiseaux, caquet désigne le cri particulier de certains animaux, spécialement le gloussement de la poule sur le point de pondre (1) : « J'ai bien peur que ceci n'approche fort de leur style [des mauvais poètes] et que vous n'y reconnaissiez plutôt le caquet importun des pies que l'agréable facilité des muses » (Racine), « les caquets assourdissants d'une populace de poules, d'oies et de canards » (Hugo), « Il aimait mieux cela [= le bruit des cuisines], et le caquet des poules par surcroît, que les conversations des gens » (Simenon). Il se dit figurément, en parlant des humains (et plus particulièrement des femmes, insinueront les mauvaises langues), d'un bavardage indiscret, importun, souvent malveillant ou suffisant, qui n'est pas sans évoquer les bruits de basse-cour : « sans faire plus long quaquet » (Villon), « le caquet des envieux » (Ronsard), « Vous avez le caquet bien affilé, pour une paysanne ! » (Molière), « M. de Grignan a bien du caquet » (Mme de Sévigné), « Les femmes parlent beaucoup, mais elles n'ont que du caquet » (Furetière), « Paris est plein de ces petits bouts d'homme / Vains, fiers, fous, sots, dont le caquet m'assomme » (Voltaire), « Le grand caquet vient de la prétention à l'esprit » (Rousseau), « cela ne troublait point son caquet inlassable » (Romain Rolland), « Il y a le flirt verbal, tout en caquet et minauderie » (Claude Duneton). Sa puissance expressive lui valut même d'apparaître dans des proverbes, aujourd'hui hors d'usage : Bon vin fait les hauts caquets (« le bon vin suscite les prétentions ») ; Il a trop de caquet, il n’aura pas ma toile (pour dire qu’on ne veut point avoir affaire à de beaux parleurs) ; Beaucoup de caquet et peu d'effet, etc. Vous l'aurez compris, caquet a fini par exprimer en un mot deux vilains défauts : le bavardage et la suffisance.

    De là l'expression rabattre (puis rabaisser) le caquet de quelqu'un, où le verbe s'entend avec la valeur figurée de « abaisser (l'orgueil, la fierté, les prétentions, etc.) ». Le tour se dit à propos d'un m'as-tu-vu qui prend la parole avec trop d'assurance et signifie littéralement « lui faire baisser le ton et l'insolence » (« faire tomber la jactance », écrit Littré), d'où « le faire taire, le remettre à sa place » − ou, pour filer la métaphore aviaire avec Panckoucke, « lui imposer le silence en lui montrant son béjaune, en lui prouvant qu'il se trompe » : « Je vous abaisseray vostre cacquet si je vis » (John Palsgrave), « Un lion en passant rabattit leur caquet » (La Fontaine), « Je voudrais bien qu'il y eût ici quelqu'un de ces messieurs, pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet » (Molière), « Mais j'ai de quoi rabattre son caquet » (Voltaire), « Il n'est pas mal de leur rabattre leur caquet à ces nobles » (Marcel Proust), « il n'y a personne pour rabattre l'impudent caquet de sa vanité » (Valery Larbaud), « les apocopes rabaissent le caquet de substantifs bien installés » (Bernard Pivot), « histoire de rabattre le caquet d'un baratineur » (Claude Duneton), « rabattre le caquet des Diafoirus économistes et financiers, prévisionnistes qui n'ont jamais rien prévu » (Régis Debray).

    C'est peut-être par confusion avec l'acception « rabaisser ce qui se plie » (rabattre le capot d'une voiture) − ou plus vraisemblablement sous l'influence des tours familiers fermer le clapet, fermer la bouche à quelqu'un − que rabattre se voit abusivement remplacer dans notre expression par le verbe fermer : « Elles [= les poulettes] ont fermé leur caquet » (Albert Bensoussan, traduisant Frederico Garcia Lorca), « Devant lui, Gorrigen fermait son caquet et filait doux » (Raymond Guérin), « Et le blanc-bec de fermer son caquet » (Daniel Appriou), « Il suffit d'un froissement d'herbe pour leur fermer le caquet » (Jean-Paul Malaval), « sa manière de fermer le caquet des membres de l'opposition au Reichstag » (Frédéric Mitterrand). Et que dire des « fermer le claquet » qui sévissent sur la Toile et nous laissent sans voix, ou encore de ce « rebattre le caquet » déniché dans le Nouveau Dictionnaire portatif en trois langues (1813) d'un certain J. J. Deuter ? Gageons que les plumes les plus affutées veilleront à ne pas imiter ces exemples, dont on n'a pas fini de nous rebattre les oreilles.

    (1) Si caquet se dit surtout des oiseaux... braillards (pie, corneille, perroquet, volaille, etc.), le mot s'est aussi employé à propos des grenouilles, des chiens (cf. Dictionnaire du moyen français) et des chats : « Un chat miauleur, qui "parle beaucoup", est un très mauvais chasseur, parce que son caquet aura mis en garde les proies éventuelles » (Jean-Pierre Colignon).

    Remarque 1 : Caquet s'écrit d'ordinaire au pluriel au sens de « propos futiles ou médisants » : « À tous les sots caquets n'ayons donc nul égard » (Molière), « Il y a une chose [...] qu'on ne verra jamais : c'est une petite ville [...] d'où l'on a banni les caquets » (La Bruyère), « On y trouvait une occasion de bonnes rencontres et de joyeux caquets » (Anatole France). On a dit autrefois faire des caquets, écouter des caquets, etc.

    Remarque 2 : L'Académie, le TLFi, Hanse, Larousse et Robert admettent les deux constructions : rabattre le caquet de quelqu'un ou à quelqu'un. Le Larousse en ligne ajoute : « Dans [ce dernier cas], à ne marque pas la possession (ce qui serait un emploi fautif) mais introduit le complément d'objet indirect (= "je rabats le caquet à lui"). »

    Remarque 3 : On dit aussi dans le même sens rabattre la crête : « Vous faites les fiers ; mais le temps approche où l'on va vous rabattre la crête sur le jabot » (Ferdinand Fabre).

    Remarque 4 : Au Canada, avoir le caquet bas signifie « avoir la tête basse, avoir l'air abattu ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il leur faudra rabattre leur caquet.

     


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