• Mise au point

    « Pendant les fêtes, Isabelle Rio et son équipe vous donnent rendez-vous dans les musées de notre région, l'occasion d'un focus sur une œuvre remarquable. »
    (paru sur son francetvinfo.fr, le 21 décembre 2015) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    « Focus n'est pas un mot français », lit-on çà et là sur la Toile. Voilà qui n'est pas exact, si l'on en croit le site Internet de l'Académie : « Le nom focus appartient au vocabulaire de l'optique depuis le XVIIe siècle. » Il s'agit en effet d'un doublet savant de foyer (d'une lentille, d'un miroir), directement emprunté du latin focus (« feu », puis « foyer ») : « Toute la lumière du Soleil ou une autre plus grande se trouvait dans le focus d'un miroir » (Marin Mersenne, 1634), « Le focus de la première lentille » (Journal des voyages de Monsieur de Monconys, 1665), « Son focus est large comme un demi Louïs d'Or » (Dictionnaire de Furetière, à l'article « miroir », 1690). Pour autant, les mêmes académiciens n'ont jamais jugé opportun d'accueillir ledit substantif dans les colonnes de leur Dictionnaire. Comprenne qui pourra...

    C'est vraisemblablement sous l'influence de l'anglais to focus (« mettre au point ») que focus s'emploie également, depuis le XXe siècle, au sens de « système de mise au point d'un appareil photo » : un (appareil) autofocus. Mais voilà que la langue courante moderne tend à sortir notre substantif de ce cadre, au grand dam de l'Académie : « On évitera d'étendre ses sens au-delà de son domaine d'origine et de l'employer figurément pour désigner, de manière un peu vague, un gros plan ou un centre d'intérêt. » Est-il besoin de préciser que Robert (mais pas Larousse, à ma connaissance) n'a pas longtemps hésité à ouvrir ses colonnes à cette extension de sens ? (*) Et pourtant... l'esprit un tantinet faux-cul que je suis vous confirmera qu'entre faire un focus et faire un gros plan ou mettre l'accent (sur tel sujet), il n'y a pas photo !

    (*) « Fig.  Focus sur l'information (→ gros plan) » (Robert illustré 2013).

    Remarque : Nouvelle mise en garde de l'Académie en 2018 : « Il convient également de ne pas faire [de focus] un adjectif qui serait l'équivalent du participe passé, appartenant à la même famille étymologique, focalisé ou de formes synonymes comme concentré. » Aussi remplacera-t-on avantageusement le néologisme (se) focusser (ou être focus) sur par se concentrer, porter son attention, mettre l'accent sur ; et l'expression focus group par groupe de discussion, voire, selon le contexte, groupe témoin, groupe de clients, etc.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    L’occasion d’un gros plan sur une œuvre remarquable.

     


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  • C'est prodig(u)ieux !

    « Ce chef-d'œuvre du Pérugin ira à Milan où il voisinera à nouveau avec la version supérieure, peinte par l'élève prodigue de l'Ombrien : Raphaël » (à propos du tableau Le Mariage de la Vierge).
    (Éric Bietry-Rivierre, sur lefigaro.fr, le 10 décembre 2015) 

     

    (photo Wikipédia)

    FlècheCe que j'en pense


    « L'élève prodigue de l'Ombrien » ? Dieu quel charabia !

    Commençons par rappeler que Raffaello Sanzio, plus connu de ce côté-ci des Alpes sous le nom de Raphaël, fut envoyé, à la mort de ses parents, dans l'atelier du Pérugin, à Pérouse, capitale de... l'Ombrie (et non de l'Ombrien).

    Le reste est à l'avenant. Prodigue, Raphaël ? Je ne saurais dire si l'homme était particulièrement dépensier, mais il ne fait aucun doute que, dans son domaine, il fut très vite considéré comme un... prodige. Inutile de vous faire un tableau : tout porte à croire que notre journaliste s'est emmêlé les pinceaux entre les deux paronymes. La confusion est d'autant plus aisée, ne manqueront pas de faire remarquer les férus d'étymologie, que l'un et l'autre sont suspectés de descendre du même verbe latin prodigere, lequel signifie « pousser (agere) quelque chose devant soi (pro) ». De fait, un prodige est une chose ou une personne mise en avant, qui sort de l'ordinaire, quand quelqu'un de prodigue est réputé jeter l'argent (par les fenêtres), le laisser filer (entre les doigts).

    Est-il besoin d'ajouter que le fait que les deux mots sont souvent employés avec enfant ou fils entretient la confusion ? Comparez : un enfant prodige (= qui fait preuve d'une précocité hors du commun, de dons extraordinaires) et le fils, l'enfant prodigue (= celui qui, dans une parabole de l'Évangile, a abandonné la maison paternelle et dilapidé sa part d'héritage avant de retourner, repentant, chez son père qui le reçoit à bras ouverts [*]). A-t-on idée, aussi, de former deux locutions de formes aussi voisines, mais de sens aussi différents ? Rien d'étonnant, dès lors, à ce que l'usager de la langue finisse par ne plus pouvoir voir ces paronymes... en peinture !

    Astuce 

    On retiendra que prodige est un nom, qui désigne un évènement à caractère magique, miraculeux (il fait des prodiges, cela tient du prodige) ou une personne particulièrement douée (un prodige du piano et, en apposition, des enfants prodiges), quand prodigue, avec un u intercalaire, est d'abord un adjectif qui qualifie une personne dépensant sans compter (substantivement : un prodigue) et, au figuré, qui donne, dispense en abondance (être prodigue de son temps, de ses soins) ou, péjorativement, trop volontiers, sans discernement.

     

    (*) Par extension, l’expression enfant, fils prodigue désigne aujourd’hui celui dont le retour au foyer (qu'il s'agisse de la famille, d'un parti politique, d'une association, etc.) est accueilli avec joie, auquel on pardonne ses manquements passés.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    L'élève prodige de l'Ombrie : Raphaël.

     


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  • « J'ai eu tard dans la nuit des nouvelles d'amis qui se trouvaient au Bataclan. Et du coup, je me dis que peut-être aussi des collaborateurs de l'enseigne ont pu être victimes de ces abominables attaques. J'ai demandé qu'on s'en inquiète et qu'on s'enquière auprès de leurs compagnons de travail. »
    (Michel-Édouard Leclerc, sur son blog, le 14 novembre 2015) 

     

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    Commençons par saluer, une fois n'est pas coutume, le choix de la forme conjuguée. C'est qu'il en va de s'enquérir comme d'acquérir, de conquérir et de requérir : mieux vaut ne pas se tromper entre l'indicatif présent (il s'enquiert) et le subjonctif présent (qu'il s'enquière). La vigilance sera également de mise au futur (il s'enquerra, avec deux r) et au participe passé (enquis, enquise).

    Las ! la conjugaison n'est pas le seul écueil que nous réserve ledit verbe : sa construction se révèle tout aussi délicate. Enquérir − réfection, d'après quérir, de l'ancien français enquerre (« demander »), lui-même emprunté du latin inquirere (« rechercher, chercher à découvrir, interroger ») − s'est longtemps employé transitivement au sens d'« interroger », en parlant d'une personne ou d'une chose : « Pourtant la [= la douleur] fault-il estudier et enquerir » (Montaigne), « Et voulant enquérir l'oracle d'Appolon » (traduction de Plutarque par Jacques Amyot). Cet usage, aujourd'hui considéré comme vieilli, ne perdure guère que dans la langue juridique : « Enquérir un témoin. Enquis sur son acte, l'accusé se tut » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). De nos jours, le verbe s'utilise surtout à la forme pronominale, au sens de « chercher à savoir quelque chose (en examinant, en interrogeant), à obtenir un renseignement (spécialement, des nouvelles ou le concours de quelqu'un) ».

    Si l'on en croit Girodet et Hanse, s'enquérir ne se construirait qu'avec de (suivi d'un nom) ou avec si (suivi de l'indicatif ou du conditionnel) : « Ils s'enquirent de l'offre et de la demande », « Nous nous enquîmes d'un guide » (Flaubert) ; « La célèbre actrice dont il s'enquit à ses voisins » (Balzac) ; « Il s'enquit, par la science qu'il avait dans les augures, si elles [= des statues d'autres divinités] voudraient céder leur place à Jupiter » (Montesquieu) ; « Dominique s'enquit minutieusement si des instruments de labour d'un emploi nouveau avaient produit les résultats qu'il en attendait » (Fromentin) ; « Commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses » (Chateaubriand) ; « Ah ! pourquoi Julius ne s'est-il pas enquis plutôt de ses recherches scientifiques » (Gide). Force est de constater que certains (bons) auteurs ne se limitent pas à ces seules options pour introduire le sujet sur lequel on se renseigne : « Il s'enquérait si les planètes étaient habitées, quand elles seraient détruites par l'eau ou par le feu » (Chateaubriand), « [Cécile] s'enquit auprès de la sainte pour savoir combien de jours cette maladie durerait » (Huysmans), « Les invités s'empressaient autour de moi pour s'enquérir j'avais pu trouver ces merveilles » (Proust).

    Il n'est que de consulter les différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie pour constater, à l'entrée « enquérir », que le choix de la préposition introduisant cette fois la personne auprès de qui on se renseigne est tout aussi hésitant : « Je me suis enquis d'un tel, ou à un tel, si le bruit qui court est vrai » (septième édition), « Je me suis enquis d'un tel, ou à un tel ou auprès d'un tel si le bruit qui court est vrai » (huitième édition), « Il s'enquit auprès du sacristain de la date de construction de l'église » (neuvième édition, où les compléments avec de et à ne sont plus prévus). Voilà qui mériterait sans doute de mener une... enquête plus approfondie.

    Venons-en enfin à l'exemple qui nous occupe, où le verbe est inhabituellement construit sans complément précisant les renseignements à obtenir. Selon Jean-Paul Jauneau, l'« emploi absolu [de s'enquérir] est peu fréquent : Nous sommes venus nous enquérir (= nous renseigner) ». Renseignements pris, il paraît d'autant plus rare que le TLFi ne l'envisage que pour... enquérir, comme dans le proverbe Trop enquérir n'est pas bon ! Peu importe, à dire vrai, car j'ai la faiblesse de croire que Michel-Édouard Leclerc n'avait pas ces subtilités syntaxiques à l'esprit quand il entreprit la rédaction de son article. N'est-ce pas plutôt la perspective de deux en successifs qui a décidé l'homme d'affaires à en supprimer un dans J’ai demandé qu’on s’en enquière (alors qu'il écrit sans rechigner J’ai demandé qu’on s’en inquiète) ? Qu'il soit ici rassuré ! Tous les auteurs ne s'embarrassent pas d'autant de scrupules euphoniques : « Vienne qui voudra s'en enquerre » (Louis Richer), « Ce qui fait qu'on ne daigne pas [...] s'en enquérir » (Bossuet), « en prenant la peine de s'en enquérir à ceux qui leur avaient donné mon livre » (Descartes), « Les juges [...] s'en enquéroient ordinairement par témoins » (Montesquieu) et, plus près de nous, « Mariguitte alla s'en enquérir » (Jean-Paul Malaval), « Vivienne allait sans doute s'en enquérir » (Éric Reinhardt), « Il faut qu'il s'en enquière » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove).

    Moralité : rien ne sert de quérir, il faut conjuguer et pronominaliser à point !

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    J’ai demandé qu’on s’en inquiète et qu’on s’en enquière (ou qu'on se renseigne) auprès de leurs compagnons de travail.

     


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  • « "Une nouvelle page va être tournée, si on gagne cette élection au deuxième tour", a conclut Florian Philippot. »
    (Guillaume Chhum, sur francebleu.fr, le 6 décembre 2015)
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Claude Truong-Ngoc)



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    Qu'il puisse s'agir là d'une simple coquille, la chose n'est pas exclue. Las ! la bourde se trouve dans un autre article publié quelques minutes plus tôt par le même journaliste, à l'occasion du premier tour des élections régionales : « "Ceux qui ont ouvert la voie aux idées du Front National, ce ne sont pas les socialistes, ce sont les hommes de Nicolas Sarkozy, donc il faut que les choses soient claires", a conclut le leader socialiste [Jean-Pierre Masseret]. »

    Rappelons ici, par souci de clarté, que la forme conclut correspond à la troisième personne du singulier du verbe conclure conjugué au présent ou au passé simple de l'indicatif, pas au participe passé (lequel n'a que faire du t final). Comparez : Elle conclut de tout cela que nous avions raison et Elle a conclu que nous avions raison. Après tout, dirait-on sans hésiter : une affaire conclute de main de maître ? Eh bien, figurez-vous que cela s'est écrit, autrefois :  « Mais néanmoins n'est la paix conclute » (Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449), « Point n'est close [la Trinité] en lieu, pas n'est conclute par estimation » (La Somme abrégée de théologie, vers 1480, citée par le TLFi), « Il a esté tres aise de l'amytié et alliance conclute » (Guillaume Gouffier de Bonnivet, 1518), « La guerre d'Aquitaine conclute, l'armée assemblée, il passa la rivière de Loire » (Claude Fauchet, 1579, cité par Godefroy).

    C'est, selon le linguiste Pierre Fouché, « sur le modèle des verbes en -ire [dire], qui faisaient leur participe passé en -it, -ite, que les verbes en -ure ont pu avoir un participe passé en -ut, -ute. » Est-il besoin de préciser que cette « possibilité » n'est plus d'actualité ?

     

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    Il a conclu.

     


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  • « En hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, François Hollande appelle les Français à "pavoiser" de drapeaux tricolores leurs maisons. »
    (Tony Selliez, sur francebleu.fr, le 26 novembre 2015)
    (photo Vincent Boisot / Le Figaro)

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    Il ne vous aura pas échappé que le verbe pavoiser vient d'être mis à l'honneur par le président de la République, dans les circonstances troublées que l'on sait. Le mot est dérivé de pavois, lui-même issu, par l'intermédiaire de l'italien pavese (« bouclier »), du latin pavensis, « (objet) de Pavie », cette ville étant apparemment réputée pour la qualité des armes que l'on y fabriquait. Pavois a d'abord désigné un grand bouclier ovale ou rectangulaire, en usage au Moyen Âge : « Lorsqu'un roi franc était élu par les guerriers nobles, il était hissé sur le pavois et promené aux yeux de son armée », apprend-on dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie. L'expression figurée élever, hisser sur le pavois (« mettre en grand honneur, en grande renommée, glorifier ») conserve le souvenir de cette tradition franque.

    C'est − d'après le Dictionnaire historique de la langue française, cette fois − parce que l'on en garnissait le bord supérieur des navires pour se protéger que pavois s'est employé par extension comme terme de marine, d'abord au pluriel, pour désigner les grandes pièces de toile tendues et destinées à cacher l'équipage à l'ennemi (lesquelles devinrent par la suite un pur ornement de parade). Aussi ne s'étonnera-t-on pas d'apprendre que le verbe pavoiser a suivi la même évolution, passant du sens (passif) d'« être muni d'un bouclier » à celui (actif) de « parer le bateau de ses pavois », puis, par analogie, de « garnir de drapeaux les maisons, les édifices publics d'une ville, à l'occasion d'une fête, d'une cérémonie » : pavoiser une rue pour le 14 Juillet. Le bougre s'emploie aussi absolument (On pavoise dans toute la France pour le 14 Juillet), et au sens figuré − et quelque peu familier − de « manifester sa joie, sa fierté de manière ostentatoire ». On se gardera surtout d'imiter l'exemple de Ségolène Royal qui, lors de la campagne présidentielle de 2007, avait bien imprudemment exhorté chaque foyer français à « pavoiser le drapeau tricolore à ses fenêtres le jour de la fête nationale ». Las ! force est de constater, avec l'exemple qui nous occupe, que ladite impropriété s'est depuis hissée au rang des pléonasmes de la plus belle eau. Quand on vous dit qu'il n'y a pas de quoi pavoiser...

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    En hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, François Hollande appelle les Français à pavoiser leurs maisons.

     


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