• « Les yaourts natures, par exemple, ont vu leur DLC reculer de 8 à 10 jours. »
    (Isabelle de Foucaud, sur lefigaro.fr, le 17 avril 2015) 



     
    FlècheCe que j'en pense


    Une fois n'est pas coutume, les ouvrages de référence sont unanimes : nature, employé dans la langue familière comme nom en apposition ou comme adjectif, est toujours invariable. Jugez-en plutôt : « Des cafés nature » (Bescherelle, Girodet) ; « Des pommes nature » (Hanse, Thomas) ; « Côtelettes nature » (Littré) ; « Des yaourts nature » (Robert) ; « Ces filles sont nature » (Girodet) ; « Ces enfants sont nature » (Thomas).

    Rien que de très... naturel, à en croire le Dictionnaire historique de la langue française : le tour en question n'est-il pas en réalité l'ellipse de « conforme à la nature » − comprenez : « spontané, authentique » (voire « naïf, facile à tromper », dans la langue argotique), en parlant d'une personne, et  « au naturel, sans addition ni mélange, sans accompagnement ni préparation particulière », en parlant d'un aliment ? On écrira de même : des confitures (faites) maison pour « des confitures faites comme à la maison ».

    Ah ! j'oubliais... Pour ceux qui, par extraordinaire, ignoreraient la signification du sigle DLC, précisons qu'il s'agit là de la date limite de consommation (encore appelée date de péremption) d'un produit périssable. Bel exemple, soit dit en passant, de nom mis en apposition, mais qui, cette fois, varie au pluriel, attendu que l'équivalence entre date et limite est implicite : des dates (qui sont autant de) limites. Pas sûr, persif(f)leront les mauvais esprits, que ces considérations alimentaires soient de nature à réconcilier les consommateurs que nous sommes avec la langue...

     
    Voir également le billet Apposition

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les yaourts nature.

     


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  • Le bénéfice du doute

    « Aujourd’hui, croyants et non-croyants sont d’accord sur le fait que la Terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous.  »
    (Cécile Chambraud, sur lemonde.fr, le 16 juin 2015) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Casa Rosada)

    FlècheCe que j'en pense


    Dieu quel charabia ! Je veux parler de la traduction française de la première encyclique publiée par le pape François. C'est qu'il ne faudrait pas oublier que le verbe bénéficier signifie « tirer profit ou avantage de quelque chose » et, partant, ne peut avoir pour sujet que la personne ou la chose qui tire profit : Ils ont bénéficié de cette mesure et non Cette mesure leur a bénéficié. Telle est du moins la position de l'Académie, de Hanse et de Colignon.

    Force est pourtant de constater que, sous l'influence du verbe profiter, la construction inverse − consistant à employer bénéficier au sens d'« apporter un profit, un avantage à ; être utile à », c'est-à-dire avec pour sujet un inanimé ou un nom de chose qui produit le bénéfice et pour complément un nom introduit par la préposition à − est largement répandue... jusque dans les colonnes du Petit Larousse, du Petit Robert et, de façon plus surprenante, du Dictionnaire de l'Académie : ne lit-on pas,  à l'entrée « privatif » de la dernière édition dudit ouvrage, « se dit aussi de ce qui marque la propriété exclusive de quelqu'un, de ce qui bénéficie à une seule personne » ? Un comble, quand on sait que l'Académie a encore tout récemment publié sur son site Internet une mise en garde contre le solécisme bénéficier à !

    À la décharge des Immortels, reconnaissons qu'il est facile de se perdre dans les changements de construction qu'a connus le verbe bénéficier. Jusqu'au XVIe siècle, le bougre était surtout employé de façon transitive, au sens de « pourvoir (quelqu'un) d'un bénéfice » (en  droit féodal et ecclésiastique), puis de « gratifier (quelqu'un) d'un bienfait » (dans l'usage courant) : « Si un soldat, qui a desja esté beneficié, refait encore actes extraordinaires, il reçoit nouveau bienfait » (François de La Noue, cité par Littré). Ces emplois ont disparu au profit de bénéficier sur (une marchandise, un marché) − au sens économique de « réaliser un gain en espèces, faire quelque profit » (spécialement à propos de l'exploitation minière) − et de se bénéficier (« être utilisé, exploité »), puis de bénéficier de quelque chose qui, à en croire Grevisse, ne serait finalement pas antérieur au milieu du XIXe siècle (1). L'Académie n'acceptera ce dernier tour qu'en 1932, malgré les oppositions d'Abel Hermant (« Le style boutiquier envahit tout »).

    Afin d'éviter toute critique, mieux vaut encore s'en tenir, dans notre affaire, à l'irréprochable verbe profiter qui, lui, admet depuis longtemps les deux constructions, donc les deux points de vue (profiter de et profiter à). On nous assure, foi de puristes, que ce sera tout bénef pour la langue.

    (1) On trouve pourtant dans un recueil de la jurisprudence française cet arrêté du 21 février 1814 : « tous les actes conservatoires (...) doivent bénéficier à tous les cohéritiers. »


    Voir également le billet Bénéficier

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un héritage commun, dont les fruits doivent profiter (ou être bénéfiques) à tous.

     


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  • Ça "cent" mauvais...

    « [Les chefs] vont déguster les cents assiettes.  »
    (Sandrine Quétier, sur TF1, le 25 juin 2015) 



    FlècheCe que j'en pense


    Entendu à deux reprises, hier soir, dans la bouche de Sandrine Quétier, lors du lancement de la nouvelle saison de MasterChef : « les cent-z-assiettes. »

    Les Français, que l'on sait prompts à jouer les durs à cuire dès lors qu'il est question de langue, auraient-ils l'esprit de contradiction ? C'est qu'ils refusent d'ordinaire à quatre-vingts ce qu'ils s'empressent d'accorder aux vingt et cent qui ne sont pas multipliés : n'entend-on pas trop souvent prononcer quatre-vingts-h-euros mais cent-z-élèves ?

    Il en eût été tout autrement − et c'est là que les choses se compliquent − si l'on eût employé des ou un déterminant indéfini comme « multiplicateur » de cent. Comparez : les cent élèves, ces cent élèves mais quelques cents élèves. Quel pataquès ! La faute à ces règles absconses et à tous ces noms commençant par une voyelle, me direz-vous avec une pincée de mauvaise foi. C'est fou comme notre présentatrice jouait tout à coup sur du velours, quand elle s'avisa de faire état de « cent... plats » !

    Voir également le billet Cent.


    Remarque : Soit dit en passant, la règle moderne d'accord des adjectifs numéraux − « tout à fait arbitraire », ainsi que se plaît à le rappeler Grevisse − a beaucoup évolué au cours des siècles. Pour preuve, ces exemples cités par l'auteur du Bon Usage : « Ce premier de Mars mille cinq cens quatre vingts » (Montaigne) ; « Deux cent vaisseaux » (Voltaire) ; « Deux mille six cens quatre-vingt enfans » (Montesquieu) ; « neuf cens mille » (quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils vont déguster les cent-t-assiettes (comme on dit cent ans).

     


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  • « [Les combattants russes accomplirent la Grande Guerre] avec un courage, une abnégation, des sacrifices à nuls autres pareils en Europe.  »
    (paru sur lemonde.fr, le 7 mai 2015) 

    Fantassins russes (photo Wikipédia)

    FlècheCe que j'en pense


    La locution adjective à nul autre pareil − comprenez : « pareil à nul autre », donc « sans égal, incomparable » − peut-elle varier en nombre ? En genre, l'accord ne fait aucun doute, si l'on en croit le Dictionnaire de l'Académie (1) : « À nul autre pareil, à nulle autre pareille. Une œuvre à nulle autre pareille. » Mais en nombre ? Nul ne risque de le savoir, avec pareil exemple... Autrement vicieuse est la position des éditions Hatier, qui nous obligent à lire entre les lignes du Bescherelle pratique : n'y apprend-on pas que « sans pareil(le) s'accorde en genre et en nombre », alors que « à nul autre pareil s'accorde en genre » ? L'embarras des auteurs devait être grand pour qu'ils s'abstinssent de préciser dans ce dernier cas : « mais pas en nombre »... Force est de constater, une fois encore, que les ouvrages de référence n'ont pas leurs pareils pour esquiver les difficultés quand elles se présentent.

    D'aucuns feront remarquer que des exemples au pluriel se trouvent pourtant dans le TLFi : « un raffinement de procédés à nuls autres semblable » (Mounier) ; « Les vociférations funéraires des femmes de la Méditerranée sont à nulles autres pareilles » (Cendrars) ; « ces liens uniques, à nuls autres comparables » (Martin du Gard) ; « La guerre a des douceurs à nulle autre pareilles » (Péguy). Et aussi dans Le Bon Usage : « La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles » (Malherbe) ; « une douceur et un feu à nul autre pareils » (Philippe Claudel). Mais, sans autres explications, allez donc trouver une logique à ces accords pour le moins divergents. Existe-t-il seulement une règle en la matière ?

    Oui, selon l'Office québécois de la langue française qui, seul, ose se mouiller − fût-ce de façon quelque peu maladroite. Jugez-en plutôt : « Dans l'expression à nul autre pareil, nul s'accorde en genre uniquement avec le nom que remplace le pronom autre, sauf lorsque ce nom ne s'emploie qu'au pluriel. L'adjectif pareil s'accorde en genre et en nombre avec le nom que remplace autre. » Avouez que cela aurait une tout autre allure avec un adverbe uniquement placé de façon à éviter l'ambiguïté d'interprétation (accord uniquement en genre ou uniquement avec le nom ?). Heureusement, les exemples proposés dans la foulée nous aident à comprendre que les accords sont censés se faire comme si le complément de l'adjectif pareil reprenait sa position naturelle : Nous avons vu des expositions à nulle autre pareilles (c'est-à-dire : des expositions pareilles à nulle autre exposition, à aucune autre exposition) mais Il a eu des funérailles à nulles autres pareilles (c'est-à-dire : des funérailles pareilles à nulles autres funérailles, à aucunes autres funérailles, le nom funérailles ne s'employant qu'au pluriel). Toute la difficulté réside, vous l'avez compris, dans le fait que l'adjectif nul, à l'instar d'aucun, ne peut en principe se mettre au pluriel que devant un nom n'ayant pas de singulier (frais, funérailles...) ou prenant un sens particulier au pluriel (gages, soins...). Force est toutefois de constater, avec le TLFi, que les exemples de nuls suivi d'un nom − quel qu'il soit − au pluriel sont loin d'être rares dans la langue littéraire (en souvenir de l'usage classique ?). Thomas a beau s'en offusquer (« On ne dira pas, par exemple : Nuls autres habitants à l'horizon »), l'Académie n'en avait cure jusqu'à encore récemment. Je n'en veux pour preuve que cette phrase de François Guizot − qui date tout de même de 1861 − dénichée sur le site Internet de la vénérable institution : « [La démocratie] ne reconnaît nuls autres droits que les siens. »

    Dans le doute, mieux vaut encore éviter ce genre d'expression un rien emphatique, depuis longtemps dénoncé par Boileau, Voltaire et quelques autres.

    (1) Dans le corrigé d'un exercice de préparation aux concours d'adjoint administratif territorial, Denise Laurent, Véronique Saunier et Bruno Rapatout préconisent toutefois d'écrire : « Cette femme était à nul autre pareil. » Pas sûr que les candidats y gagnent quoi que ce soit...

    Remarque 1 : Seul l'accord dans la citation de Mounier me paraît difficilement justifiable : un raffinement semblable à nuls autres raffinements ?

    Remarque 2 : Autrefois, la langue poétique employait également la variante à nul autre second pour « qui tient le premier rang » : « Et c'est une folie à nulle autre seconde / De vouloir se mêler de corriger le monde » (Molière).

    Remarque 3 : Pour sans pareil, l'usage est à peine moins indécis : accord en genre et en nombre ou, plus rarement, invariabilité (« sans rien de pareil »). Bénédicte Gaillard reste au milieu du gué, en classant ledit tour parmi les « expressions figées (...) toujours au singulier » ! Voir également le billet Pareil

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un courage, une abnégation, des sacrifices à nul(s) autre(s) pareils en Europe.

     


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  • « Et quelles sont ces rénovations ? Des immeubles démollis ou de la  simple rénovation de façade ?  »
    (Stéphane Milhomme, sur francebleu.fr, le 18 juin 2015) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Franck.schneider)

    FlècheCe que j'en pense


    Je confesse avoir fait la moue : c'est qu'il ne vous aura pas échappé que démolir s'écrit avec un seul l, contrairement à mollir. Rien à voir, au demeurant, entre nos deux paronymes : le premier est emprunté du latin demoliri (« mettre à bas, faire descendre ; détruire, renverser ») − lui-même formé de la préposition de et de moliri (« déplacer avec peine ; construire ; entreprendre »), dérivé de moles (« masse ») − quand le second est issu, par l'intermédiaire de l'adjectif mou, du latin mollis (« tendre, mou »).

    Les esprits rebelles auront beau arguer que la graphie avec consonne double se trouve chez Coquillart (« Pour desmollir rampars ») et chez Rabelais (« es aultres desmolloyt les reins »), inutile de nous laisser bourrer le mou : à cette époque, lointaine, où l'usage orthographique était encore mal établi, les anciens hésitaient tout autant entre les variantes amollir et amolir (au sens de « rendre mou ; affaiblir »), si l'on en croit Littré et Féraud. Un vrai molli-mélo ! De nos jours, la distinction entre les deux familles est plus nette : tous les préfixés de mollir (amollir, ramollir) prennent logiquement deux l ; quant à démolir, seule la forme avec un l a encore pignon sur rue... à moins d'accepter pour définition du néologisme démollir celle proposée par le facétieux Dictionnaire des verbes qui manquent : « sortir de sa torpeur ».

    Remarque 1 : La coquille ne date pas d'hier. En 1842, Louis-Nicolas Bescherelle − qui n'avait pourtant rien d'une chiffe molle − optait ainsi, dans son Dictionnaire usuel de tous les verbes français, pour la graphie avec un l à l'entrée « démolir »... mais avec deux à l'entrée « raser » (« Démollir entièrement »). La faute à un petit coup de mou ?

    Remarque 2 : On ne s'étonnera pas de trouver la graphie démollition (au lieu de démolition) sous la plume de notre journaliste, qui fait là preuve d'une fâcheuse conséquence !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Des immeubles démolis.

     


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