• « Depuis un mois, le nom d’Agnès Saal est devenu le synonyme de tout ce que les Français ne peuvent plus voir en peinture. Il faut reconnaître que cette haut fonctionnaire y a mis du sien » (à propos de l'ex-présidente de l'INA, photo ci-contre).
    (Matthieu Croissandeau, sur nouvelobs.com, le 27 mai 2015) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Remi Mathis)


    FlècheCe que j'en pense


    Dieu sait que je n'ai jamais été un partisan de la féminisation à outrance de la langue, mais, en l'occurrence, notre journaliste serait bien inspiré de clarifier sa position sur le sujet. Car enfin, si fonctionnaire est enregistré dans les dictionnaires usuels comme un nom des deux genres (on dit encore épicène) − entendez qui peut être indifféremment précédé d'un déterminant masculin ou féminin : un fonctionnaire ou une fonctionnaire −, encore convient-il de ne pas changer d'avis en chemin. Les tenants de la neutralité liée aux fonctions, aux titres et aux grades pourront toujours opter pour le masculin, en tant que genre non marqué (ce haut fonctionnaire, en parlant d'un homme ou d'une femme qui occupe un poste important dans la fonction publique), il n'empêche : les règles de féminisation rappelées sur le site de l'ATILF (*) plaident pour cette haute fonctionnaire et non pour cette haut fonctionnaire, qui donne à penser que l'adjectif serait ici invariable !

    Faut-il voir dans notre affaire l'influence de haut-commissaire, « titre donné à certains... hauts fonctionnaires » selon la définition du Petit Larousse illustré 2005 ? C'est vraisemblable. Mais quand bien même haut serait suivi d'un trait d'union afin de marquer qu'« il s'agit d'une fonction bien définie et non d'un terme général, comme haut fonctionnaire » (dixit Thomas), rien ne justifie que l'on hésite encore à mettre l'adjectif au féminin... quand le pluriel hauts-commissaires ne semble indisposer personne − à moins, bien sûr, de considérer avec le Larousse électronique que ledit nom composé est exclusivement masculin.

    Est-il besoin de préciser que la maison concurrente ne l'entend pas de cette oreille ? « Le, la haut-commissaire au Plan », lis-je, non sans un certain étonnement, dans mon Robert illustré 2013. Pis ! Grevisse, dans Le français correct, inclut à la fois « haut-commissaire » et « haut(-)fonctionnaire » (notez l'éventualité du trait d'union...) dans la liste des noms « généralement épicènes ». Autant dire que l'usage, en la matière, est encore loin d'être fixé. De son côté, l'Office québécois de la langue française, soucieux de limiter les frais de taxi, n'y va pas par quatre chemins : « Le féminin de haut-commissaire est haute-commissaire. [...] Rien n’empêche le féminin puisqu’il s’agit bien d’un adjectif. » Ouf ! Encore convient-il, mais cela va sans dire, de savoir distinguer haut adjectif (de hauts personnages) de haut adverbe (des personnages haut placés)...

    (*) « Dans les dénominations composées et complexes, le principe de la féminisation est identique : les substantifs sont féminisés selon les règles [précédemment énoncées], les adjectifs et les participes s'accordent au féminin : une haute fonctionnaire [...] »

     

    Remarque 1 : Le TLFi, qui adopte la graphie sans trait d'union aux entrées « fonctionnaire » et « haut », sème le trouble en hésitant subitement entre haut fonctionnaire et haut-fonctionnaire à l'entrée « commissaire ». Même flottement constaté chez Grevisse, entre haut commissaire (dans La Force de l'orthographe) et haut-commissaire (dans Le Français correct). Voudrait-on nous perdre que l'on ne s'y prendrait pas autrement...

    Remarque 2 : On écrira, avec haut adverbe, des haut gradés (= des militaires hautement gradés).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Cette haute fonctionnaire (?) y a mis du sien.

     


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  • « La perspective de la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, promise par François Hollande en 2012 mais mise de côté depuis, est "quelque chose sur laquelle nous devons travailler", a aussi estimé M. Le Roux. »
    (dépêche AFP parue sur lepoint.fr, le 24 mai 2015) 

    (Bruno Le Roux, source : www.saint-ouen-socialiste.fr)

     

    FlècheCe que j'en pense


    La chose ne vous aura pas échappé : ce n'est pas parce que chose est du féminin qu'il en va de même de quelque chose. Il convient en effet de bien distinguer le nom − digne représentant du beau sexe − des locutions composées avec celui-ci (autre chose, grand-chose, peu de chose, quelque chose, chose a perdu sa valeur de nom et son genre étymologique), lesquelles fonctionnent comme des pronoms indéfinis neutres (selon Grevisse, Bescherelle et Girodet) ou masculins (selon Littré (1), Thomas, Capelovici, Larousse et Robert). Quelle que soit l'analyse retenue, l'accord se fait au masculin (singulier), en tant que genre indifférencié à valeur de neutre : C'est une chose entendue mais Quelque chose a été entendu ; « Toujours son ironie, inféconde et morose, Jappait sur les talons de quelque grande chose » (Victor Hugo) mais Il a fait quelque chose de grand (l'adjectif masculin qui qualifie quelque chose étant toujours précédé de la préposition de).

    Le journaliste de l'AFP pourra toujours se consoler en constatant que le cours des choses, en la matière, fut plus mouvementé qu'il n'y paraît. Ainsi apprend-on dans la Grammaire française de Paul Crouzet que, au XVIIe siècle notamment, chose, même en fonction de pronom, gardait le genre et la construction du nom : « Je vous voulais tantôt proposer quelque chose, Mais il n'est plus besoin que je vous la propose, Car elle est impossible... » (Corneille) ; « Il est rarement arrivé qu'on m'ait objecté quelque chose que je n'eusse point du tout prévue » (Descartes) ; « Quand j'ai dans la bouche quelque chose meilleure que le silence » (Guez de Balzac) ; « Cela n'est-il pas merveilleux [...] que j'aie quelque chose dans la tête qui [...] fait de mon corps tout ce qu'elle veut ? » (Molière). Mais l'usage, par la force des choses, a fini par considérer quelque chose comme ne formant qu'un seul mot, devenu en quelque sorte le neutre de quelqu'un. Force est toutefois de constater que des écrivains modernes continuent − par snobisme ou par archaïsme ? − de traiter quelque chose comme un féminin, renouant ainsi avec la tradition classique : « Il y a quelque chose plus précieuse encore » (Valéry)  ; « Quelque chose la retenait-elle encore à Farm-Point ? » (Simenon) ; « se sacrifier pour quelque chose dont on ne savait rien, sinon qu'il fallait mourir pour qu'elle soit » (Camus) ; « Il [...] voulut dire quelque chose, puis se mit à rire sans l'avoir dite » (Duras).

    Quelque chose me dit pourtant qu'il vaut mieux s'en tenir, dans notre affaire, à l'usage contemporain... lequel, vous ne l'avez que trop compris, continue d'hésiter entre le neutre et le masculin pour notre locution. Et voilà que les choses se compliquent. C'est que ledit flottement n'est plus aussi... neutre dès lors qu'il est question du choix du pronom relatif : doit-on recourir à quoi, ainsi que l'exige l'emploi d'un pronom neutre (désignant une chose indéterminée) comme antécédent, ou à lequel, qui sied au masculin ? Bescherelle, tenant d'un quelque chose de genre neutre, recommande logiquement d'écrire « autre chose, pas grand-chose, quelque chose à quoi (sur quoi...) et non auquel (sur lequel...) ». Si la chose paraît entendue pour Hanse (« Il y a quelque chose à quoi je pense »), l'honnêteté m'oblige à reconnaître qu'il n'en va pas de même de tous les spécialistes de la langue. Ainsi l'Académie, qui n'a pourtant pas l'habitude de faire les choses à moitié, peine-t-elle à se décider entre les deux constructions. Ne lit-on pas dans la neuvième édition de son Dictionnaire : « l'empêcher ainsi de parler de quelque chose sur quoi l'on veut qu'il se taise » (à l'entrée « bâillon »), « Donner quelque chose à quoi on ne tient pas » (à l'entrée « refiler »)... mais « Revendiquer, demander quelque chose auquel on a ou on croit avoir droit » (à l'entrée « réclamer ») ? La même confusion sévit du côté du Larousse électronique : « Qui s'accorde avec quelque chose à quoi il est destiné » (à l'entrée « conforme ») mais « Action de réclamer quelque chose auquel on estime avoir droit » (à l'entrée « réclamation »)... ou encore de nos écrivains : « J'avais arraché de moi quelque chose à quoi je tenais » mais « quelque chose pour lequel je ne trouve que le mauvais qualificatif d’"ineffable" » (Mauriac). Goosse, le continuateur de Grevisse, a beau affirmer que l'emploi de lequel avec quelque chose pour antécédent reste « exceptionnel » ; Riegel, Pellat et Rioul ont beau marteler dans leur Grammaire méthodique du français que « lorsque l'antécédent est un pronom neutre ou indéfini ne représentant pas un être humain (cela, quelque chose, rien) le pronom à utiliser comme relatif est exclusivement quoi », les choses en sont là... Autant dire qu'elles n'ont pas fini de nous laisser tout chose !

    (1) À en croire Littré, « quelque chose est devenu masculin à cause du sens vague qui y est attaché ».

    Subtilités

    Y a-t-il quelque chose de bon à manger ? mais Y a-t-il quelque bonne chose à manger ?

    Quelque chose à quoi il faisait référence mais Ce (petit) quelque chose auquel il faisait référence.

    Remarque 1 : Même quand quelque chose est senti comme un seul terme, il s'écrit en deux mots.

    Remarque 2
    : Si quelque chose, au sens de « une chose », est ordinairement du genre neutre ou masculin (Si tu veux quelque chose, je te le donnerai. Un petit quelque chose, substantivement), il garde sa valeur de féminin quand il signifie « quelle que soit la chose » : Quelque chose que vous lui disiez, il ne la croira pas.

    Remarque 3 : Pour Vaugelas, qui reconnaissait qu'il était « beaucoup plus fréquent, plus François, et plus beau de donner un adjectif masculin à quelque chose », c'est l'oreille qui détermine le choix du genre. Reste que l'exemple sur lequel le grammairien s'appuie n'est guère convaincant : pourquoi le féminin serait-il précisément plus plaisant à entendre que le masculin dans il y a quelque chose dans ce livre qui n'est pas telle que vous dites ? Je vous laisse tirer la chose au clair.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est quelque chose sur quoi nous devons travailler.

    C'est une chose sur laquelle nous devons travailler.

     


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  • « Là, il dit subir en tout est pour tout deux semaines de formation sur le champ de manœuvre, lui qui n’avait jamais touché à un fusil. »
    (Saïd Aït-Hatrit, sur lemonde.fr, le 8 mai 2015) 

     

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    Décidément, Le Monde n'et plus ce qu'il était...


    Remarque 1 : Simple coquille, me direz-vous... Las ! il n'est que de consulter la Toile pour mesurer à quel point la confusion, dans notre affaire, entre la forme verbale (il) est et la conjonction de coordination et se répand comme une traînée de poudre : « il n'aura en tout est pour tout que 17 exemplaires à distribuer » (Nice Matin) ;  « En tout est pour tout » (Le Courrier picard, La Dépêche) ; « [Elle] est restée en tout est pour tout une vingtaine de minutes sur place » (Le Point) ; « l'actrice ne possède en tout est pour tout que huit paires de chaussures » (Gala) ; « En tout est pour tout 105 salles projettent [tel film] » (Le Huffington Post).

    Remarque 2 : Renforcement d'en tout (au sens de « à tous égards, en tous points » ou de « sans rien omettre, tout étant compris, tout compte fait, au total »), la locution en tout et pour tout signifie, selon le contexte, « entièrement » ou « seulement, à peine, rien que ». Comparez : Je suis de votre avis en tout et pour tout (les académiciens de 1835, ainsi que Littré, écrivaient encore : Je suis de votre avis en tout et par tout) et « mais il ne possède aucune fortune ; il touche en tout et pour tout un traitement annuel de dix mille francs » (Huysmans). À en croire le Dictionnaire historique de la langue française, ledit tour serait apparu en 1935. On en trouve pourtant des attestations nettement plus anciennes, dans le Dictionnaire néologique des hommes et des choses (1795) de Louis Abel Beffroy de Reigny (« Chaque religieux n'eut en tout et pour tout que huit écus et un habit ») ou dans la Correspondance (1760) du duc de Broglie (« il y a ici, en tout et pour tout, un vice-bailli »).

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    En tout et pour tout.

     


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  • Mauvaises influences

    « Cela a sans doute influencé sur le moral des ménages. »
    (Olivier Lorthios, sur TF1, le 13 mai 2015) 

     

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    Entendu mercredi soir, au journal de vingt heures de TF1 : influencer sur. Ce solécisme vient, de toute évidence, d'une confusion entre les verbes influer et influencer. Rappelons en effet que, si le premier ne se construit plus de nos jours qu'avec la préposition sur, le second est transitif direct : influencer le jury, l'opinion, mais le climat influe sur la santé.

    À la décharge de notre journaliste, reconnaissons que l'on a tôt fait de s'emmêler les pinceaux entre ces deux paronymes. D'abord, influer n'a pas toujours été un verbe intransitif ; Littré nous rappelle ainsi que le bougre s'est construit transitivement, autrefois, avec le sens de « faire couler dans, faire pénétrer dans, en parlant des choses spirituelles, morales » : « Du soin que la nature a d'y influer [dans nos membres] les esprits » (Pascal) ; « Dieu influe le bien dans tout ce qu'il fait » (Bossuet). Ensuite, nos deux verbes sont à ce point proches par le sens que le TLFi a cru utile d'apporter cette précision : « Les textes ne montrent pas de différence de sens ni d'emplois notables entre influer et influencer, dans l'ordre concret ou abstrait. Seul influer se construit avec sur ; mais on peut les considérer comme pratiquement commutables, ainsi qu'en témoignent certains exemples. Ce désir dépend immédiatement du jugement qui le précède. Il est donc influencé par tout ce qui influe sur ce jugement (Destutt de Tracy, 1805). » Rien que de très logique, me direz-vous, quand on songe qu'influer est emprunté du latin influere (« couler dans, s'insinuer dans », puis « exercer une influence (en parlant d'astres) »), tout comme influence (par l'intermédiaire du latin influentia, « action attribuée aux astres sur la destinée des hommes »)... dont dérive influencer.

    Faut-il conclure de cette filiation qu'influer et influencer sont deux parfaits synonymes, comme le laisse entendre le TLFi ? Rien n'est moins sûr. Selon Thomas, influencer aurait plutôt un sens moral et s'appliquerait surtout aux personnes − autrement dit, influencer serait « une manière d'influer humaine, volontaire, réfléchie, faite à dessein », pour reprendre les mots de Lafaye. Girodet, qui compte parmi les experts les plus influents de notre époque, acquiesce : « Influencer doit avoir pour complément un nom désignant une personne ou un groupe de personnes (...) Quand le complément est un nom de chose, on emploiera plutôt influer sur ». Force est toutefois de constater que ces subtilités sont loin de faire l'unanimité parmi les spécialistes de la langue. Ainsi l'Académie admet-elle l'emploi d'influer avec pour complément un nom de chose aussi bien qu'un nom de personne (« exercer sur une personne ou une chose une action qui tend à la modifier »), tandis que Hanse joue la carte de la prudence (« influer sur qqn ou, plus souvent, sur qqch »). Quant au verbe influencer, plusieurs dictionnaires font nettement la distinction entre son application aux personnes − au sens de « soumettre à son influence » (Robert), « soumettre à son influence ; exercer une influence, un ascendant sur » (Académie) − et son application aux choses − au sens de « agir sur » (Robert), « avoir une action physique sur une chose » (Académie). Loin de moi l'intention de vous influencer, mais vous conviendrez que la nuance entre « exercer une action sur une chose » (influer sur quelque chose) et « agir sur une chose » (influencer quelque chose) n'est accessible qu'aux seuls coupeurs de cheveux en quatre...

    Que retenir de tout cela ? Que l'emploi de nos deux verbes n'est pas bien délimité. Pour autant, dans l'usage courant, influencer tend à s'appliquer surtout aux personnes (sur la volonté et l'esprit desquelles s'exerce l'action) et influer, aux choses ou aux concepts abstraits. Au-delà de ces considérations, il convient surtout de prendre garde à la différence de construction. Histoire de ne pas subir de mauvaises influences...

    Remarque : Influencer − nettement plus récent (1771) qu'influer (1375) − ne trouvait pas grâce aux yeux de Necker : « On introduit chaque jour de nouveaux verbes complètement barbares, et on les substitue à l'usage des substantifs ; ainsi l'on dit influencer (...) Cette remarque semble subtile, mais elle indique qu'on n'éprouve plus le besoin des expressions moelleuses et mesurées ; car [c'est] par l'union des adjectifs aux substantifs que les idées acquièrent de la nuance et de la gradation. Maintenant, on doit demander de quelle manière la nouvelle Constitution française peut, non pas influencer la langue, mais avoir sur elle une influence insensible » (Du pouvoir exécutif dans les grands États, 1792). Si le verbe fut en effet longtemps critiqué − « On a dit, depuis quelque temps, et dans un sens actif, influencer un avis, etc. pour avoir de l'influence sur un avis. C'est un néologisme barbare » (Claude-Marie Gattel, Dictionnaire universel de la langue française) −, il finit par s'imposer : n'avait-il pas sur son rival influer l'insigne avantage d'être transitif direct et donc de pouvoir s'employer au passif ?

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Cela a sans doute influé sur le moral des ménages.

     


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  • «  Elle tombait dans les bras accueillants de ceux que les remuements fiévreux de son derrière avaient rendus tout choses. »
    (Lydie Salvayre, dans son roman Hymne, paru au Seuil) 

     

     

     

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    Si la chose paraît entendue au féminin − Elle m'a paru toute chose (Académie) ; Elle est toute chose (Hanse) −, reconnaissons que le doute est permis au pluriel : doit-on écrire Ils sont tout chose ou Ils sont tout choses ?

    Inutile d'espérer une aide quelconque des ouvrages de référence, tant ceux-ci restent désespérément muets sur la question. Seuls le Jouette et le TLFi osent se jeter à l'eau... mais dans des directions diamétralement opposées : le premier opte pour la graphie « Ils sont restés tout choses », quand le second prône l'invariabilité en citant Goncourt : « Les officiers sont si chose » (phrase que l'on trouve écrite, au demeurant, avec choses au pluriel dans certaines éditions). Une chose est sûre : nous voilà bien avancés !

    L'unanimité n'est pas davantage de mise chez les écrivains. Jugez-en plutôt : « Seulement il dit parfois des choses que l'on trouve un peu choses » (Louis Veuillot) ; « Vous semblez tout choses » (Gerald Messadié) ; « quand on voit comme certains en sont tout choses » (André Blanchard) ; mais « [Le monsieur] la regardait longuement, gravement, avec des regards tout chose » (Jean Richepin) ; « toujours il y aura des grosses femmes − et même des petites − qui "se sentent tout chose" » (Jules Lemaître) ; « Elle a même un petit qui a les yeux tout chose » (Marie Susini) ; « les seize ans du fils de l'épicier se sentaient tout chose » (René Fallet) ; « ils deviennent tout chose » (Calixthe Beyala).

    En désespoir de chose, pardon de cause, j'ai donc décidé de solliciter l'avis du service du Dictionnaire de l'Académie française sur le sujet. « Dans ce cas chose est invariable, me confirme-t-on dans un courriel laconique. On lit, chez Goncourt, Les officiers sont si chose. » Oserai-je l'avouer ? Voilà qui me donne l'impression d'une réponse rédigée à la hâte après un détour par le TLFi... Car enfin, si telle est officiellement la position de l'Académie, pourquoi ne pas aller au fond des choses, en précisant clairement dans le Dictionnaire du quai Conti que chose est invariable dans cet emploi ? Comparez : « Chose², mot invariable. Fam. Nom en construction d'attribut (plus rarement d'apposition), avec valeur d'adjectif caractérisant » (TLFi) et « Adj. Fam. Mal à l'aise d'une façon indéfinissable, souffrant. Se sentir un peu chose. Elle m'a paru toute chose » (dernière édition du Dictionnaire de l'Académie).

    En l'espèce, la mention « adjectif », reprise en chœur par les dictionnaires usuels, ne me paraît guère appropriée. Car que signifie chose dans notre expression ? Thémiseul de Saint-Hyacinthe, dans ses Remarques sur Le Chef-d’œuvre d'un Inconnu (1714), nous met sur la voie : « Il étoit proprement ce que l'on appelle, dans le style familier, être tout je ne sais comment ; dans le style bas, être tout chose. » Le substantif chose sert, en effet, depuis longtemps à désigner ce dont on ignore le nom, que l'on ne peut ou que l'on ne veut pas nommer : Le Petit Chose d'Alphonse Daudet ; « Les sieurs Machin et Chose » (G. Duhamel). De là, selon toute vraisemblance, l'origine de la locution être, se sentir tout chose, entendez éprouver un malaise que l'on ne saurait décrire ni analyser, d'où être bizarre, décontenancé, ému, gêné, mal disposé, mal à l'aise.

    Alors nom ou adjectif, variable ou invariable ? Force est de constater que, dans cette affaire, nos spécialistes ont bien du mal à accorder leurs violons. La langue serait-elle chose trop sérieuse pour qu'on l'abandonne aux seules mains des grammairiens et des lexicographes ?


    Remarque : Bruno Dewaele a également abordé cette épineuse question sur son excellent blog(ue) À la fortune du mot, auquel on pourra se reporter... si ce n'est déjà chose faite.

     

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    Ce qu'il conviendrait de dire


    Elle tombait dans les bras accueillants de ceux que les remuements fiévreux de son derrière avaient rendus tout chose (selon l'Académie).

     


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