• « Faites vites ! »
    (publicité pour la marque italienne de canapés Poltronesofà, diffusée à la télévision en juin 2014)  

     


    FlècheCe que j'en pense

    Décidément, les publicitaires n'ont peur de rien, surtout pas de rédiger leurs messages à la... va-vite(s) ! Car enfin, ce n'est pas parce que vite a d'abord compté parmi les adjectifs qu'il faut... s'asseoir sur son emploi moderne comme adverbe. Comparez : Des chevaux vites comme des éclairs (adjectif variable au sens de « rapide ») et Ils galopent vite (adverbe invariable au sens de « rapidement »).

    La faute, on s'en doute, se trouve en quantité illimitée sur la Toile, où elle prend tout particulièrement ses aises dans des contextes au pluriel : « Les stands sont vites fermés » (France Bleu) ; « ils sont vites rappelés à l'ordre » (La Dépêche) ; « Ces espoirs seront vites déçus » (Le Journal du Dimanche) ; « les responsabilités viendront vites » (Le Figaro) ; « Les réformes ne vont pas assez vites » (Le Nouvel Observateur) ; « les bourdes vites oubliées » (Le Monde). Il n'empêche : on veillera à ne pas laisser cette impropriété s'installer dans l'usage... comme dans un fauteuil.


    Voir également le billet Vite.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Faites vite !

     


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  • « Pour le moment, seul le nom du réalisateur a été dévoilé et aucune information sur le casting n'a été donnée. Si on peut se permettre une petite suggestion, on a cru ouïe dire que Kristen Stewart aimait bien les bêtes et que Taylor Lautner s'y connaissait pas mal en poils » (à propos de la prochaine adaptation au cinéma du dessin animé La Belle et la Bête).
    (Julie Michard, sur telestar.fr, le 5 juin 2014)

     

    FlècheCe que j'en pense

    D'aucuns rétorqueront qu'il vaut mieux entendre cela que d'être sourd. Tout de même, j'ai du mal à en croire mes yeux et mes oreilles. C'est que, de toute évidence, l'ouïe de notre journaliste est comme l'oie de Raymond Devos (1) : elle nage en pleine confusion.

    Confusion entre ouï et ouïe, d'abord. Il faut dire que nos deux homophones sont issus du même verbe ouïr (emprunté du latin audire, « entendre, écouter »), que l'on n'emploie plus guère de nos jours, à l'infinitif et aux temps composés, qu'avec l'infinitif dire (parfois parler, raconter) pour signifier qu'il s'agit de propos, d'informations répandus par la rumeur publique − voire par affection d'archaïsme (comme dans la forme impérative Oyez, bonnes gens !) ou dans la langue juridique (Ouï les parties) : le premier fait office de participe passé (notez le tréma sur le i qui le distingue de l'adverbe oui) ; le second, de dérivé nominal pour désigner celui des cinq sens par lequel on perçoit les sons (Avoir l'ouïe fine. Être tout ouïe).

    Confusion entre ouï dire et ouï-dire, ensuite. C'est qu'il y a ouï et ouï, si, si ! Celui qui entre dans la forme verbale ouï dire n'est autre que le participe passé précédemment évoqué (J'ai ouï dire... entendez : j'ai entendu dire, comme Molière écrivait dans L'Avare : « J'en ai ouï parler » [2]), alors que dans le nom masculin invariable ouï-dire, lequel s'écrit avec un trait d'union et se rencontre à l'occasion dans la locution adverbiale par ouï-dire (« indirectement, en se fondant sur des bruits, des rumeurs, des idées reçues »), c'est de l'infinitif ouïr lui-même qu'il s'agit, après amuïssement puis chute du r final (3) : Je l'ai appris par ouï-dire (on écrivait autrefois : par ouïr dire). À en croire les ouï-dire…

    Vous l'aurez compris : tout porte à croire que notre journaliste avait bel et bien à l'esprit le tour « on a ouï dire », dans lequel elle a cru reconnaître le substantif ouïe, la nature de participe passé de ouï lui ayant échappé par ignorance de l'étymologie. La méprise, au demeurant, n'est pas inouïe, relèveront à bon droit les oreilles bienveillantes ; qu'on en juge : « Et quand Marthe eut ouïe dire que Jésus venoit » (Évangile selon saint Jean, dans une édition de 1716), « Ne diriez-vous point cela par préjugé, ou parce que vous l'avez ouïe dire souvent ? » (Œuvres complètes de Malebranche, sous la direction d'André Robinet, 1958), « J'ai eu ouïe dire que la chair avait connaissance de tout » (Laurence Nobécourt, 2018). Il n'empêche, je ne suis guère enclin à l'indulgence dès lors qu'il est question de s'aventurer hors des sentiers battus, sur les pentes autrement escarpées du registre soutenu. Que ne s'est-on contenté d'un prudent « on a cru entendre dire » ! Voilà qui est d'autant plus bête que la grammaire l'aurait échappé belle.
     

    (1) La conjugaison (très défective, soit dit en passant) du verbe ouïr fit les beaux jours du regretté maître ès jeux de mots, dans un sketch resté fameux : « L'ouïe de l'oie de Louis a ouï. − Ah oui ? − Elle a ouï ce que toute oie oit. »

    (2) Et aussi : « Arrêtez, Monsieur, s'il vous plaît, il est un peu de mes amis, et ce serait à moi une espèce de lâcheté que d'en ouïr dire du mal » (Molière), « À ce que j'ai ouï dire » (Racine), « Je t'ai souvent ouï dire que les hommes étaient nés pour être vertueux » (Montesquieu), « J'ai ouï parler, à cette époque, de plusieurs petites conspirations » (Stendhal), « Vous le regrettez donc, ce triste personnage. J'en ai ouï dire des choses monstrueuses » (Balzac), « J'ai vaguement ouï dire qu'il a été opéré ce matin » (Abel Hermant), « Je n'ai pas ouï dire qu'elle [= la chair d'un oiseau] fût comestible » (Anatole France),  « N'avez-vous pas ouï parler récemment des idées [d'untel] ? » (Paul Claudel), « Jusqu'où doit-on répercuter en public ce qu'on a ouï dire en privé ? » (Luc Ferry).

    (3) Il fut un temps où le r final des mots ne se prononçait pas (sauf s’il suivait un e ouvert comme dans mer) ; ainsi de finir (et des verbes du deuxième groupe), qui s'est prononcé « fini ». « Il subsiste [d'ailleurs] une trace de la prononciation en i de ces infinitifs : c’est la locution par ouï-dire. Dans cette locution, ouï n’est pas un participe, c’est l’infinitif ouïr (qui signifiait "entendre"). Le sens est "par entendre dire" », lit-on dans Les Mots français (1966) du grammairien Georges Gougenheim. Pour preuve ces exemples puisés dans des textes anciens : « Ce qu'ele set par oïr dire » (Le Roman de Guillaume de Dole, XIIIe siècle), « Et dont je parle par veoir, et non pas par ouyr dire » (Olivier de La Marche, XVe siècle), « Je n'en parleroye pas seulement par ouyr dire, mais de ce que j'en ay cogneu moy-mesme » (Jean Calvin, 1547) ; on trouve également la variante par l'ouïr dire : « Il a des choses veritables assez prez de sa contree et region, que jamais ne vouldroit croire par l'ouïr dire, s'il ne le voit » (Jean d'Arras, vers 1393), « Quant à cela, je le sçay par le seul ouyr dire de ceux du païs » (André Thevet, 1554).


    Remarque : La disjonction devant ouï-dire est exigée par Littré : Le ouï-dire.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On a ouï dire que (voire on a cru ouïr dire que)...

     


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  • « S'il n'est pas anormal qu'une question puisse être a posteriori jugée plus compliquée que prévue ou mal posée, et donner ainsi lieu à un ajustement, nous sommes ici dans une toute autre logique : celle de faire augmenter artificiellement les résultats (...) » (à propos du système de notation du baccalauréat).
    (extrait du communiqué du SNALC intitulé « Baccalauréat 2014 : le niveau monte déjà ! » et publié le 23 juin 2014)  

    FlècheCe que j'en pense

    « Baccalauréat 2014 : le niveau monte déjà ! », nous dit-on avec hauteur. Il faut croire que celui du syndicat de professeurs du second degré a plus de mal à décoller − tout du moins en français !

    À toutes fins utiles, je renvoie les intéressés aux billets déjà consacrés aux règles d'accord de tout et à l'emploi de l'expression plus (ou moins)... que prévu, par le biais des liens suivants : Prévu et Tout. Histoire de leur éviter de se voir infliger un zéro pointé, quel que soit le système de notation envisagé.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Une question plus compliquée que prévu (entendez : que cela est prévu).

    Nous sommes ici dans une tout autre logique (entendez : dans une logique entièrement autre).

     


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  • « La première fenêtre personnalisable avec des inserts, pour changer de décor en un clips. »
    (publicité pour Art & Fenêtres, diffusée à la télévision en juin 2014)  

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Girodet, grand spécialiste de la langue (pas des fenêtres), semblait pourtant catégorique : « Ne jamais prononcer [klips] et ne jamais écrire un clips. » Rien que de très logique, à première vue, tant on perçoit que clip ferait bien de se retrouver en slip : viendrait-il à l'idée de quelqu'un de crier aux fenêtres l'achat d'un slips, en faisant entendre le s fautif ?

    Mais voilà : clip est un emprunt relativement récent (1934, selon le Dictionnaire historique de la langue française) de l'anglais clip (« pince, agrafe »), d'abord dans le domaine de la mode où il désigne un bijou muni d'un fermoir à ressort, puis dans divers emplois techniques (agrafe chirurgicale, film de courte durée, etc.). Aussi comprend-on que les locuteurs respectueux de la prononciation d'origine soient encore tentés de marquer à l'oral le s du pluriel clips quand ils rechigneraient à le faire avec slips, francisé de plus longue date. La même tolérance vaut-elle, pour autant, au singulier ? Non, vu de la fenêtre de Dupré : « On entend souvent ce mot [clip] prononcé avec un s final normal au pluriel si l'on considère encore qu'il s'agit d'un mot anglais, mais qui est absolument injustifiable au singulier. »

    Force est pourtant de constater que la forme clips n'est pas rare au singulier, même chez de bons auteurs : « Il lui offrit plusieurs cadeaux : un sac de cuir, le jour de son anniversaire, un clips de céramique à Noël » (Geneviève Gennari, médaille d'argent du Prix Louis Barthou) ; « Elle porte une robe imprimée dont le corsage est fendu jusqu'à la taille. Un clips de mauvais goût qui représente un bouquet de fleurs le retient à mi-hauteur » (Roger Nimier) ; « j'ai ici mes bagues... mes perles... le clips avec les émeraudes... » (Aragon) ; « extrême simplicité du pull-over et du clips de cristal agrafé entre les deux pointes du col » (Roland Cailleux). Cet abus de langage résulterait, selon le TLFi, d'« une confusion à partir de l'anglais clip employé au pluriel, notamment pour désigner des boucles d'oreilles ». Ce ne serait pas la première fois, au demeurant, qu'un pluriel étranger est pris pour un singulier, une fois franchi le seuil de notre langue : que l'on songe à confetti, spaghetti, albinos, voire chips (que Robert présente désormais comme un nom féminin invariable !).

    Dans le doute, mieux vaut encore balayer devant sa porte et réserver la forme clips au pluriel, en s'abstenant d'en faire entendre la consonne finale.

    Remarque : La même confusion règne entre clipper (« fixer avec un clip, une pince à ressort », selon la définition du Petit Larousse illustré) et la variante clipser, ignorée des dictionnaires usuels.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Changer de décor en un clip (?).

     


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  • « "Si on met tout ensemble, c’est quelque 40 et quelque milliards de baisse des prélèvements obligatoires, ce n’est quand même pas rien. Il y en a qui disent que c’est le harcèlement fiscal, il y a des moments où on croit rêver", a dit Michel Sapin » (photo ci-contre).
    (dépêche AFP servilement reprise sur liberation.fr et sur lepoint.fr, le 5 juin 2014)  


    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Matthieu Riegler)

     

    FlècheCe que j'en pense

    Et l'on se prend à rêver... d'un monde où les journalistes de l'AFP sauraient faire la différence entre quelque, adverbe, et quelque, adjectif.

    Encore faut-il, au préalable, être en mesure de distinguer un adjectif numéral cardinal (quarante) d'un nom (milliard) : c'est que quelque est adjectif (donc variable) devant celui-ci, mais adverbe (donc invariable) quand il signifie « environ, à peu près » devant celui-là. Comparez : Il a dépensé quelques milliers d'euros (quelques = plusieurs) ; Il a dépensé quelque dix mille euros (quelque = environ) ; Il a dépensé dix mille euros et quelques (entendez : et quelques euros en plus).

    Quand l'exemple proposé par Hanse dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne serait quelque peu daté (Trente et quelques francs), l'avertissement qui l'accompagne est, quant à lui, toujours d'actualité : « L'invariabilité de quelque, dans ce cas, ne se justifie pas. » Et Bescherelle d'ajouter : « et quelques est toujours au pluriel. Ils étaient vingt et quelques. » Aussi s'étonne-t-on de relever dans une page du TLFi la graphie « dans un mois et quelque », alors que mois est une réalité divisible et que, de toute évidence, jours est ici sous-entendu (dans un mois et quelques jours).

    Quelque débattues que puissent être ces questions, il n'en reste pas moins vrai que la formule de notre ministre ne brille ni par sa légèreté ni par sa précision : car enfin, « environ quarante milliards et un peu plus », voilà qui en dit long sur l'approximation effectuée.


    Voir également le billet Quelque.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est une quarantaine de milliards de baisse des prélèvements obligatoires.

     


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