• « Ce jour-là, nous payerons tous un très lourd tribu, bien plus lourd que l'explosion du prix du gaz » (à propos de la politique menée par Vladimir Poutine, photo ci-contre).
    (Caroline Fourest, sur huffingtonpost.fr, le 15 avril 2014)

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par eng.kremlin.ru/news/4817)


    FlècheCe que j'en pense

    Tellement lourd que le malheureux en a perdu son t final ! Pas de quoi fouetter un chat, rétorqueront les esprits liquéfiés, puisque, en l'espèce, ladite consonne ne se prononce pas. Il n'empêche, on se gardera de confondre le substantif féminin tribu (« unité sociale en ethnographie ») et son homophone masculin tribut... en dépit de leur parenté étymologique : c'est que, pour ne rien simplifier, tribut est emprunté du latin tributum, de tribuere, « distribuer », qui vient lui-même de... tribus, « tribu », et signifie « répartir entre les tribus » !

    Tribut désignait à l'origine une taxe, un impôt qu'une collectivité devait payer en signe de dépendance, puis une rétribution, un salaire, et se dit au figuré de ce que l'on est obligé d'accorder ou de supporter, comme dans les expressions payer le tribut à la nature, à la mort.

    À la décharge de notre journaliste, reconnaissons que les hésitations sur la graphie de nos deux homophones ne sont pas rares : « Amazonie : la tribue perdue » (Paris Match), « Une tribue qui manque d'air » (M6), « l'informatique paiera un lourd tribu » (01net), « Les exportateurs tricolores [...] vont payer un lourd tribu au "Brexit" » (Le Monde), « les femmes paient le plus lourd tribu » (Françoise Héritier), « les civils paient un lourd tribu aux combats » (Régine Deforges). On retiendra que le t final de tribut se retrouve dans l'adjectif dérivé tributaire (« qui dépend de » et qui signifiait autrefois « qui doit payer un tribut ») et dans le substantif contribution.

    Comment pourrais-je conclure ce billet sans payer mon tribut au génie de Mallarmé, qui préconisait à bon droit de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » ? Qu'il soit ici entendu !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un très lourd tribut.

     


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  • « Le grand perdant est France 2. Les errements de la programmation en avant-soirée ont pesé lourd. »
    (Enguérand Renault, sur lefigaro.fr, le 26 avril 2014)

     




    FlècheCe que j'en pense

    Rien de bien répréhensible, pensez-vous, du point de vue de la langue ? Voilà qui serait compter sans la mise en garde de l'Académie : « [Errements] ne doit pas être employé dans le sens d'Erreurs. »

    C'est que l'on ne manque pas d'erre, en français ! Figurez-vous qu'il existait à l'origine deux verbes errer bien distincts. Le plus ancien, apparu au Xe siècle sous la forme edrer et dérivé du latin iterare, signifiait « voyager, agir, se comporter de telle ou telle façon ». Il disparut au XVIe siècle, au profit de son concurrent homonyme − attesté vers 1170 et emprunté quant à lui du latin errare −, qui prit le double sens que nous lui connaissons aujourd'hui : « aller çà et là, marcher à l'aventure » puis « faire fausse route », d'où au figuré « faire erreur, se tromper ».

    Ainsi découvre-t-on que les chevaliers errants n'avaient en rien perdu leur chemin, mais parcouraient le monde pour accomplir des exploits ; que le calembour dans quel état j'erre ? ressortit (selon le Dictionnaire historique de la langue française) au sens ancien de « gouverner, gérer » ; et, surtout, que notre substantif masculin pluriel, dérivé du premier verbe errer, n'a rien à voir avec erreur, issu du second. C'est donc par confusion paronymique que errements est employé plus souvent qu'à son tour avec une valeur péjorative que n'implique pourtant pas son sens originel de « manière d'agir, démarches habituelles » : Agir conformément à ses errements (entendez à ses habitudes). Une confusion « si vieille et si naturelle, à cause du voisinage de forme et de sens », constate Hanse, qu'elle aura tendance à se généraliser. Difficile, en effet, de nos jours, de ne pas sourire à l'évocation des errements de l'Administration, alors qu'il est proprement question des habitudes, des règles de fonctionnement des services de l'État, non de ses égarements !

    Il n'empêche : on en vient à se demander s'il ne valait pas mieux parler, dans l'affaire qui nous occupe, des errances de la programmation ou des erreurs de programmation, selon que l'on souhaite insister sur l'idée de tergiversation, d'hésitation ou de méprise, de bévue. Laissons à Engu... errant, pardon, à Enguérand Renault le soin de trancher.


    Remarque : Grevisse note, à propos d'errements, que le glissement de sens, sous l'influence d'erreur, de « manière d'agir » à « attitude blâmable » a été accepté par l'Académie dans la dernière édition de son Dictionnaire, « mais non l'assimilation complète à erreurs ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les errances (?) de la programmation.

     


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  • « Valls : beark ! beark ! beark ! »
    (Jean-Luc Mélenchon, photo ci-contre, sur son blog, le 10 avril 2014)  
     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Place au peuple)


    FlècheCe que j'en pense

    Curieuse graphie que voilà. Oserai-je l'avouer ? Je n'ai pas pu m'empêcher de faire la grimace. C'est que, de nos jours, les dictionnaires usuels ne mentionnent d'ordinaire guère plus de deux variantes orthographiques de cette onomatopée censée imiter le bruit accompagnant le mouvement de renvoi du vomissement  : berk ou beurk, chez Larousse comme chez Robert. C'est dégoûtant, berk (ou beurk) !

    Certes, à en croire le Dictionnaire historique de la langue française, notre interjection est attestée en 1922 sous la forme beurque pour exprimer plus largement le dégoût, la répugnance : « Beurque ! interj. - Fi ! » (Glossaire des patois et des parlers de l'Aunis et de la Saintonge), puis berg en 1952... mais point de beark à l'horizon.

    Il faut croire, toutefois, que rien ne fait plus branché que cet ultime avatar du franglais − un comble, sous la plume d'un contempteur de la mondialisation et ancien professeur de français.


    Remarque : L'honnêteté m'oblige à préciser que la forme beuark est également mentionnée dans le dictionnaire en ligne Reverso.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Berk
    (ou beurk) !

     


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  • « Interrogée sur ces nouvelles règles au ministère de l'Ecologie, Marisol Touraine, sur Europe 1, explique que dans son ministère, "toutes les femmes et tous les hommes ont le sens de la mission qui est la leur et spontanément adoptent des tenues descentes". Mais "l'été, des décolletés légers ne me posent aucun problème", sourit la ministre » (à propos du règlement intérieur que Ségolène Royal, photo ci-contre, aurait imposé au personnel de son ministère).
    (paru sur lefigaro.fr, le 24 avril 2014)

     (photo Wikipédia sous licence GFDL par Matthieu Riegler)


    FlècheCe que j'en pense

    Encore un article qui risque de se faire descendre en flammes. Car enfin, confondre l'adjectif décent (avec accent et sans s intercalaire) et le substantif féminin descente relève de la glissade orthographique non contrôlée. Le premier, emprunté du latin decens, -entis (participe présent de decere, « convenir, être conforme à la bienséance »), signifie « qui respecte les convenances », quand le second, dérivé du latin descendere (« descendre »), a conservé son s étymologique.

    Il n'en reste pas moins vrai qu'il fut un temps où les graphies de nos deux homophones étaient moins distinctement fixées. Ainsi apprend-on dans le Dictionnaire historique de la langue française que l'adjectif décent apparut d'abord sous la forme... descent (1450) ! Jean Marot (cité par Littré) n'écrivait-il pas encore, au début du XVIe siècle : « Si je me plains, ma raison est descente, Tant qu'il suffit » ? Cent cinquante ans plus tard, Richelet entretient la confusion en notant dans son Dictionnaire : « Décente (Descente) Chûte de quelque chose qui décent. »

    Pour un peu, on en viendrait à se demander si ce n'est pas la langue, plus que les décolletés, qui nous fera perdre la raison...


    Remarque : La coquille a été promptement corrigée depuis la parution de ce billet, ce qui est tout à l'honneur du Figaro... mais pas de L'Express, qui persiste dans l'erreur.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils adoptent des tenues décentes.

     


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  • « Hier l’ancienne épouse du président du FMI a touché les téléspectateurs (...) La romancière Nathalie Rheims y est aussi allé de son hommage dans sa chronique publié sur le site du magazine Le Point » (à propos d'Anne Sinclair, interviewée dans l'émission Un jour, un destin).
    (Alexandre Maras, sur gala.fr, le 23 avril 2014)  
     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Un participe (publié) qui ignore le genre du nom auquel il se rapporte (chronique), un autre (allé) qui se désolidarise du sexe de son sujet (Nathalie Rheims) : notre journaliste, apparemment en proie à des hormones mâles attisées par le récit de la scabreuse affaire DSK, serait-il fâché avec les règles d'accord les plus élémentaires ? Reconnaissons, à tout le moins, qu'il n'y est pas allé de main morte...

    Au demeurant, rien dans l'expression familière y aller de (quelque chose) − qui signifie « apporter, présenter, engager quelque chose à titre de contribution » − ne saurait justifier l'invariabilité d'un participe passé conjugué avec l'auxiliaire être : « Elle y est allée de sa larme », écrit ainsi l'Académie dans son Dictionnaire. Mieux vaut donc se mettre sans tarder à sa suite (2806).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Elle y est allée de son hommage dans sa chronique publiée sur tel site.

     


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