• « Conscient de la gravité de la situation politique, la majorité des écolos veillent toutefois à ne pas étaler trop ostensiblement ses états d'âme. »

    (Anne Rovan, sur lefigaro.fr, le 29 octobre 2013) 
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Bel exemple d'inconséquence, s'il en est !

    Est-il besoin de préciser que ce n'est pas parce que, après un nom collectif, la grammaire nous laisse le choix de l'accord que celui-ci doit se faire au détriment du bon sens ?

    Avec la majorité de comme sujet, explique Girodet, il est d'usage d'accorder verbe et attribut au singulier... « sauf si l'on veut insister sur l'idée de pluralité et non d'unité collective » : eu égard aux actuelles divisions de la gauche plurielle, on ne s'étonnera pas de voir notre journaliste opter pour l'accord avec le complément. Encore faut-il que les adjectifs suivent le même chemin. Las ! l'emploi de ses suppose un possesseur singulier, que le sens n'est guère enclin à privilégier : l'expression états d'âme ne renvoie-t-elle pas davantage aux écolos qu'à la majorité ? Quant à l'adjectif conscient, rien ne saurait justifier son accord au masculin singulier, qui n'est compatible ni avec majorité (féminin) ni avec écolos (pluriel).

    Quitte à faire un choix entre l'accord grammatical (avec le collectif) et l'accord d'intention (avec le complément), autant ne pas en changer en cours de phrase. Les écolos appellent cela « se placer dans le sens du flot ».

    Remarque : Quand le nom majorité est singulier et qu’il est employé sans complément, verbe et attribut restent ordinairement au singulier.


    Voir également les billets La majorité (de) et Accord avec un collectif.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Conscients de la gravité de la situation politique, la majorité des écolos veillent toutefois à ne pas étaler trop ostensiblement leurs états d'âme.

     


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  • « François Reyl, directeur de la banque genevoise qui a hébergé les fonds suisse de Jérôme Cahuzac, doit être entendu mardi par les juges. »

    (Violette Lazard, sur liberation.fr, le 28 octobre 2013) 
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Notre journaliste serait-elle fâchée avec la grammaire franco-suisse ? On est fondé à le croire, à la lecture de cet article qui ne lui rend pas justice. Jugez-en plutôt : « les fonds suisse », « les banquiers Suisse », « les convocations des juges Français ». Plus que la violette, tout cela fleure la précipitation à plein nez.

    Rappelons, les yeux dans les yeux, que la majuscule est réservée aux noms de peuples, d'habitants et de nationalités (Un Suisse, une Française), les adjectifs associés et les noms de langue se contentant d'une minuscule (Un citoyen suisse qui parle le français. Il est de nationalité française).

    N'en déplaise à notre journaliste qui, en l'espèce – j'allais écrire : en liquide –, risque fort de se retrouver chocolat, l'adjectif suisse et le substantif Suisse, ce n'est pas pa-reyl !


    Voir également le billet Né français.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les fonds suisses, les banquiers suisses, les juges français.

     


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  • Aucun(s) frais

    « Certains pays, comme le Danemark, n'appliquent aucun frais de scolarité dans l'enseignement supérieur. »

    (Marie-Estelle Pech, sur lefigaro.fr, le 23 octobre 2013) 


    FlècheCe que j'en pense

     
    Loin de moi l'intention de jeter un froid, mais je me dois de rappeler ici que frais, à moins de qualifier le fond de l'air scandinave, est un substantif masculin toujours au pluriel quand il est employé au sens de « dépenses » : Les frais généraux, les frais de transport. Un spectacle donné à grands frais, à moindres frais, aux frais de la princesse. Tous frais payés. Arrêter les frais. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que Girodet préconise de « ne pas dire : un grand frais, un petit frais, mais une grande dépense, une petite dépense ».

    Employé avec des mots qui n'ont pas de singulier ou qui changent de sens au pluriel, l'adjectif aucun, bien que signifiant littéralement « pas un autre », n'a d'autre choix que de se mettre au diapason en prenant par exception la marque du pluriel : Aucuns frais. Aucuns travaux. Aucunes funérailles. Aucunes vacances.

    Aucun doute, il y a bien quelque chose de pourri au royaume de Danemark : notre journaliste vient d'en faire les frais !

    Remarque 1 : On notera toutefois − autres temps, autres conventions − qu'aucun (comme nul) s'est employé couramment au pluriel jusqu'au XVIIIe siècle : « Il attend son destin sans faire aucunes plaintes » (La Fontaine), « Aucuns tourments n'ont pu empêcher les martyrs de confesser leur religion » (Pascal), « Il ne garda aucunes mesures » (Bossuet), « Aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui » (Racine), « Je ne me mêlai plus d'aucunes affaires » (Montesquieu), « Il n'y avait encore aucuns Chrétiens sur la terre » (Rousseau), « Je n'ose faire aucuns projets » (Voltaire), « Jamais sans doute aucunes larmes / N'obscurciront pour eux le ciel » (Lamartine). En 1836, Louis-Nicolas Bescherelle écrivait encore dans sa Grammaire nationale qu'« aucun précède le substantif qu'il détermine et en revêt tous les accidents de nombre et de genre ».

    Remarque 2 : Voir également le billet Frais.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Certains pays n'appliquent aucuns frais de scolarité dans l'enseignement supérieur.

     


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  • De si tôt

    « En conséquence, l’afflux de liquidités sur les marchés ne devrait pas s’amenuiser de si tôt. »

    (Guillaume Bayre, sur lefigaro.fr, le 21 octobre 2013) 

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Il n'est jamais trop tard pour améliorer son orthographe. Encore faut-il que les ouvrages de référence nous facilitent un tant soit peu la tâche. Force est malheureusement de constater que, dans l'affaire qui nous occupe, il va falloir se lever tôt pour y retrouver ses petites liquidités. Jugez-en plutôt.

    Dans la huitième édition de son Dictionnaire (la neuvième n'étant pas encore parvenue à la lettre s), l'Académie n'a d'yeux que pour sitôt : la graphie en un seul mot a clairement sa préférence dès lors que tôt s'attarde en compagnie des adverbes aussi, bien et si : Je n'arriverai pas sitôt que vous. Il n'est toutefois que de survoler ledit ouvrage pour constater que cet ancien usage bat sérieusement de l'aile : les Immortels n'hésitent-ils pas à écrire à l'entrée « hé », avec une certaine inconséquence : « Hé, vous voilà ? je ne vous attendais pas si tôt » ?

    C'est que, comme le note à juste titre Littré, « des grammairiens pensent que, puisqu'on écrit plus tôt en deux mots dans ces phrases : Il était venu plus tôt que moi, son procès sera jugé plus tôt que le mien, il faudrait de même écrire si tôt en deux mots, dans celles-ci : Je n'arriverai pas si tôt que vous ; votre affaire ne sera pas si tôt finie que la mienne. Ailleurs on continuerait de n'en faire qu'un seul mot : Sitôt qu'il reçut la nouvelle, il partit. »

    Partant, nombreux sont les spécialistes (parmi lesquels Girodet, Thomas et Hanse) qui ne craignent plus de distinguer l'adverbe sitôt (en un seul mot), proche d'aussitôt, et l'expression si tôt (en deux mots), qui s'oppose à si tard. Comparez : Sitôt dit, sitôt fait. Sitôt arrivé, il se plaint. Elle partit sitôt (= aussitôt) qu'elle m'aperçut. Elle est partie si tôt (= tellement tôt) que l'on n'a pas eu le temps de discuter. Privilégier la graphie en deux mots quand le contexte donne son sens plein à tôt, rien que de très logique, après tout, pour peu que l'on s'attarde un instant sur le sujet. L'Académie elle-même semble enfin se laisser convaincre, comme le suggère la différence de traitement du verbe dire dans les dernières éditions de son Dictionnaire : « Qui eût dit qu'elle changerait sitôt ? » (huitième édition) ; « Qui eût dit qu'elle changerait si tôt ? » (neuvième édition).

    Mais voilà que les choses se compliquent avec la locution adverbiale de sitôt, qui ne s'emploie que dans une proposition négative avec le sens de « pas avant longtemps ». Il fallait bien, diront les mauvaises langues, que Grevisse s'immisçât tôt ou tard dans le débat : « Il est logique d'écrire si tôt en deux mots chaque fois qu'on exprime le contraire de "si tard" et aussi dans "pas de si tôt". » Et notre spécialiste de citer Cocteau : Il ne se couchera pas de si tôt – il aurait pu de même évoquer Voltaire : Les nouveautés ne seront pas de si tôt prêtes, ou encore Simone de Beauvoir : On n'a jamais réussi à arrêter le malheur, on n'y réussira pas de si tôt, en tout cas pas de notre vivant.

    Qui croire ? L'Académie, qui s'en tient à la graphie en deux mots (Il ne partira pas de sitôt), ou Grevisse, qui penche pour trois ? Inutile d'espérer une aide quelconque de nos dictionnaires usuels : si Larousse semble marcher dans les pas des académiciens, le Robert illustré 2013 ne fait guère de distinction entre les deux graphies − « Il ne reviendra pas de sitôt : il n'est pas près de revenir » (à l'entrée « sitôt ») et « Elle ne viendra pas de si tôt, pas dans un proche avenir et peut-être jamais » (à l'entrée « tôt »). Quelque subtile que puisse être la nuance, viendrait-il à l'idée de quelqu'un d'écrire : « Elle ne viendra pas de si tard » ou « Elle ne viendra pas de plus tôt » ? Hanse ne le croit pas. Aussi préfère-t-il s'abstenir d'écrire pas de si tôt, malgré les exemples trouvés chez quelques bons écrivains.

    Point n'est pour autant besoin, il va sans dire, d'envoyer notre journaliste expier sa faute, cithare à la main, à l'abbaye de Cîteaux. Il ne devrait pas la refaire... de sitôt.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    L’afflux de liquidités ne devrait pas s’amenuiser de sitôt (selon l'Académie, Littré, Girodet, Thomas, Hanse, Bescherelle et Larousse).

     


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  • Tout dépend...

    « Mais cette croissance à la vitesse grand V s’est faite aux dépends d’autres équipements informatiques » (à propos du marché des tablettes tactiles).

    (Clémence Dunand, sur lesechos.fr, le 22 octobre 2013) 

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Blake Patterson)
     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Notre journaliste aurait-elle oublié de noter sur ses tablettes que la locution aux dépens de a bien plus à voir avec dépenser qu'avec dépendre, eu égard à l'étymologie ?

    Emprunté du latin dispensum, participe passé neutre substantivé de dispendere (« peser en distribuant, partager ; distribuer ») à l'origine de l'adjectif dispendieux, dépens est un ancien nom masculin pluriel qui n'est plus guère employé au sens propre de « frais, ce que l'on dépense » que dans le vocabulaire juridique, la langue usuelle lui ayant depuis longtemps préféré dépense(s). Il subsiste dans la locution prépositive aux dépens de, qui signifie proprement « aux frais de » (Il vit grassement, il s'est enrichi à mes dépens) et, figurément, « au détriment, au préjudice de » (Apprendre quelque chose  à ses dépens).

    Rien à voir, donc, avec la forme conjuguée du verbe dépendre, emprunté du latin dependere : (je, tu) dépends. C'est pourquoi on veillera à ne pas affubler notre substantif (toujours employé au pluriel, à l'instar de frais) d'un d que rien ne justifie. La Fontaine ne s'y est pas trompé, lui qui écrivait en 1668 : « Apprenez que tout flatteur / Vit aux dépens de celui qui l'écoute. » Après tout, cette leçon vaut bien un fromage et une tablette... de chocolat !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Cette croissance s’est faite aux dépens d’autres équipements informatiques.

     


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