• Ainsi fond, fonds, fonts... sont trois homonymes qu'il convient de bien distinguer, au risque de toucher le fond sans espoir de cagnotte à la clef.

    Force est de constater que les deux premiers mots sont fréquemment confondus, en raison d'un pluriel... bien singulier !

    Comparez : les fonds marins, user ses fonds de culotte, des fonds d'artichaut (nom masculin fond au pluriel) et un fonds de commerce, de garantie, de santé, le fonds documentaire d'une bibliothèque, le Fonds monétaire international (FMI), une mise de fonds (nom masculin fonds, ici au singulier).

    Il se trouve que le s final de fonds (au sens de « bien, capital, ressource », au propre comme au figuré) n'est pas la marque d'un pluriel mais celle de l'ancien français fons, emprunté du latin fundus, lui-même à l'origine de fond (au sens de « partie la plus basse, la plus éloignée d'une chose » ou, au figuré, de « partie la plus importante, la plus intime d'une chose »). Est-il besoin de préciser que la différenciation entre ces deux mots partageant une étymologie commune relève de l'arbitraire le plus total ?

    Cette distinction, établie au XVIIe siècle par Vaugelas, dénoncée par Littré puis par Hermant (« une des sottises de la langue française »), est tellement artificielle qu'il devient parfois impossible de choisir entre les deux graphies. Ainsi, doit-on parler du fond de caisse ou du fonds de caisse pour désigner les liquidités d'un commerçant ? (1) Doit-on dire de quelqu'un qu'il a un bon fond (Académie) ou un bon fonds (Thomas) ? Les Immortels se sont même sentis obligés de préciser dans la dernière édition de leur Dictionnaire : « Il a un grand fonds de savoir, d'érudition. (On écrit aussi Fond) », après avoir un temps autorisé la suppression pure et simple de cette distinction au profit de fond (2). Si vous voulez celui de ma pensée, on patauge dans un puits sans fond...

    Au sens figuré, où la confusion est monnaie courante, mieux vaut s'en tenir aux conseils de Larive et Fleury : « Fond signifie ce qu'il y a d'essentiel dans une chose, ce qui la constitue principalement, par opposition à la forme, à l'accessoire ; Fonds, par un s, contient une idée de possession » (Dictionnaire des mots et des choses, 1888) ou de Robert : « Il serait souhaitable que, dans tous les cas où l'on veut exprimer l'idée d'"élément essentiel et permanent" on écrivît fond, et, au contraire, fonds lorsque prévaut l'image de "capital exploitable" » (j'ajoute : ou de ressources personnelles).

    Il y a dans son discours un fond de vérité. Il a un bon fond mais Il a un grand fonds de savoir.

    Quant à fonts, il s'agit d'un nom masculin pluriel emprunté du latin fontes (« fontaines »), qui ne s'emploie plus que dans l'expression fonts baptismaux (« vasque où l'on conserve l'eau bénite dont on se sert pour baptiser »).

    (1) La menue monnaie a beau se trouver au fond du tiroir-caisse, il semble préférable d'opter pour la graphie fonds de caisse, dès lors qu'il est question d'argent. C'est du moins le choix effectué par Larive et Fleury : « Voici deux exemples qui feront bien sentir la différence qui existe entre [fond et fonds] : Le fond de la caisse. Un fonds de caisse suffisant » (Dictionnaire des mots et des choses, 1888) et par l'Office québécois de la langue française : « Fonds de caisse. Somme d'argent que l'entité peut utiliser immédiatement, par exemple la monnaie d'appoint, en vue de faciliter le règlement de menues dépenses. »

    (2) Hanse rappelle que, en 1975, l'Académie a autorisé la suppression de la distinction entre fond et fonds (au profit de fond), mais l'institution a ensuite annulé sa décision.

    Séparateur de texte


    Remarque 1
    : La distinction établie entre fond et fonds se retrouve dans leurs dérivés : fonder, fondateur, fondement, fondé (de pouvoir)... d'un côté ; foncier, foncer, tréfonds, etc., de l'autre.

    Remarque 2 : Le risque de confusion est encore plus grand quand il est question de catalogue. Comparez : Le catalogue des manuscrits et des fonds de la Bibliothèque nationale de France (= ensemble de ressources susceptibles d'être exploitées) mais Le fond de catalogue est une expression utilisée dans le domaine de la vente de biens culturels (livres, disques, films) pour désigner les vieux titres encore en stock. Tout dépend donc du contexte, dirons-nous pour simplifier...

    Remarque 3 : C'est à tort que Flaubert écrivit, dans le manuscrit de Bouvard et Pécuchet : « Il déclara les avoir aperçus lui-même dérobant le font baptismal » (rapporté par Thomas).

    Remarque 4 : Font correspond à la forme conjuguée du verbe faire à la 3e personne du pluriel.

    Fond / Fonds / Fonts
    « Une faillite de la Grèce n'est "pas envisageable" selon Christine Lagarde,
    directrice générale du Fond [sic] monétaire international » (lexpansion.lexpress.fr).
    Sans doute une question de fond...
    (photo wikipedia)

     


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  • Le verbe obliger, emprunté du latin obligare, a perdu son sens premier de « attacher, lier quelqu'un par une obligation religieuse ou morale ; par des liens de reconnaissance », qui ne perdure que dans quelques expressions telles que : Noblesse oblige ! ou Vous m'obligeriez en acceptant.

    L'usage moderne en fait avant tout un synonyme de contraindre, forcer, et tend à établir une distinction entre ses deux constructions.

    Flèche

    Obliger à + infinitif


    À l'actif, obliger se construit avec l'infinitif complément introduit généralement par la préposition à, sauf pour raison d'euphonie.

    Il m'oblige à l'écouter.

    Il m'oblige à aller le voir (éventuellement Il m'oblige d'aller le voir ou, plus élégamment Il m'oblige à l'aller voir, pour éviter le hiatus).

     

    Flèche

    Obliger de + infinitif


    Au passif, obligé se construit avec l'infinitif complément introduit de préférence par à quand il a une réelle valeur verbale (notamment en présence d'un complément d'agent), par de quand il est employé adjectivement.

    Il fut obligé par ses parents à faire ses devoirs.

    Il est obligé de partir.

    Séparateur de texte


    Remarque 1
    : L'honnêteté m'oblige à préciser que Littré considère cette distinction comme artificielle : « L'oreille seule en décide. »

    Remarque 2 : Les mêmes remarques valent pour contraindre et forcer.

    Obliger (à, de)

     


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  • Altération possible, d'après agonie, de l'ancien verbe ahon(n)ir (« faire honte à, déshonorer, insulter »), agonir est un verbe transitif du deuxième groupe, se conjuguant comme finir et faisant son participe présent en -issant. Il signifie « accabler (le plus souvent en paroles, mais pas toujours) » et ne s'emploie d'ordinaire que suivi d'un complément circonstanciel : Agonir quelqu'un de reproches, d'injures, de malédictions, de sottises... voire de coups.

    On se gardera de toute confusion avec son paronyme agoniser, verbe intransitif du premier groupe, qui signifie au sens propre « être à l'agonie » et au figuré « être près de sa fin, décliner ».

    Ils l'agonissaient d'injures (= ils l'accablaient d'injures), ils l'ont agoni d'injures.

    Ils agonisaient en silence (= ils se mouraient en silence), ils ont agonisé en silence.


    AstuceMoyen mnémotechnique : Celui qui agonise d'injures ne mérite pas de vivre !

    Séparateur de texte


    Remarque : Concernant l'origine de la confusion entre ces deux verbes, voir ce billet.

     

    Agonir / Agoniser
    Un exemple de barbarisme humoristique.

     


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  • Une annus horibilis

    « Pour celui qui fut intronisé PDG en décembre 2010, 2011 aurait dû être l'heure de la consécration. Elle a finalement été une annus horribilis » (à propos d'Antoine Frérot, PDG de Véolia, photo ci-contre).
    (Libie Cousteau, dans L'Express n° 3164, février 2012)

     
    (photo wikipedia sous licence GFDL par Matthieu Riegler)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Les spécialistes de la langue ne s'accordent pas sur le genre de l'expression annus horribilis, depuis que celle-ci a été plaisamment formée (si j'ose dire) − sur le modèle de annus mirabilis (littéralement « année remarquable, singulière, étonnante », aujourd'hui toujours pris en bonne part au sens de « année merveilleuse ») (1) − à partir des mots latins annus (« année, saison, période ») et horribilis (« qui fait horreur, horrible, effrayant » et, en bonne part, « étonnant, surprenant ») pour qualifier une année de sinistre mémoire. Les uns veulent conserver à annus son genre étymologique, malgré la redoutable proximité avec son homonyme anatomique (2) : « annus horribilis, masculin (au pluriel, anni horribiles) » (Wiktionnaire), « Il [faut] plutôt écrire un annus horribilis » (blog des correcteurs du Monde), « Un annus horribilis » (Petite Histoire des grands mots historiques de Daniel Appriou) (3) ; les autres (Larousse en tête, depuis 2014) penchent pour le féminin, sous l'influence du substantif année : « Chaque année qui passe est pour elle [l'Académie] une annus horribilis » (Jacques Drillon), « 1996 avait été à tous égards une annus horribilis » (Amélie Nothomb).

    Dans le doute, contentons-nous de rappeler que ladite expression, attestée en anglais depuis 1890, doit son succès international à la reine Elizabeth II, qui l'employa − par référence au poème de son compatriote John Dryden, intitulé Annus mirabilis (1667) ? − à propos de l'année 1992, marquée par l'incendie du château de Windsor et par la séparation de plusieurs couples de la famille royale. Elle est depuis restée... dans les annales.


    (1) Le tour figurerait dans une prédiction en vers attribuée à l'Allemand Johannes Müller, dit Regiomontanus (1436-1476) : « Octuagesimus octavus mirabilis annus. »

    (2) De là la définition en forme de jeu de mots donnée par Jean-Loup Chiflet dans Ad aeroportum ! À l'aéroport ! Le Latin d'aujourd'hui (1999) : « Hémorroïde : Anus horribilis. »

    (3) On trouve de même : « Un annus medicus complet » (1792), « Délai, qui est fixé [...] à un annus utilis » (1840), « Un annus luctus » (1864), « Ce laps de temps différent de l'année du calendrier [...] figure dans la liste des magistrats comme un annus » (1892), etc.


    Remarque : Est-il besoin de préciser que le même flottement s'observe de longue date avec annus mirabilis ? Qu'on en juge : « Cette année a été partout un annus mirabilis pour le mauvais tems » (traduction d'une lettre datée de 1767 du comte de Chesterfield, 1785), « Suivons-le dans cet annus mirabilis secoué de voyages » (André Tubeuf, 1990), mais « Cordélia de Castellanne, qui fut le grand amour de cette annus mirabilis » (André Maurois, 1938), « 1900, déjà considérée comme une annus mirabilis » (Maurice Denuzière, 2006).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    2011 a finalement été un (ou uneannus horribilis.

     


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  • Les mannes de l'idéal républicain

    « [Vincent] Peillon ne résiste jamais à convoquer les mannes de l'idéal républicain lorsqu'il s'agit de parler éducation. »

    (Marie-Caroline Missir, dans L'Express n° 3163, février 2012)

     

     

    (photo wikipedia)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Du latin manna, la manne est la nourriture providentielle envoyée par Dieu aux Hébreux dans le désert. Au sens figuré, ce nom féminin (rarement au pluriel) désigne un don providentiel et inespéré, un avantage inattendu.

    Selon toute vraisemblance, il y a là confusion avec l’homophone mânes, nom masculin pluriel emprunté du latin Manes, qui désigne l'âme des morts, le souvenir des morts (dans la religion romaine). Et qui est correctement employé dans cet extrait du Point (n°2075) consacré à Simenon : « Tous les ans, en juin, les mânes de Maigret rôdent dans les rues des Sables-d'Olonne ».

    Quant au choix du verbe, il est discutable. Si l'on s'en tient à la position de l'Académie, convoquer ne peut s'appliquer qu'à une personne ou à un groupe de personnes. Sans doute eût-il été préférable de recourir au verbe invoquer, moins contestable.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Vincent Peillon ne résiste jamais à invoquer les mânes de l'idéal républicain.

     


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